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Lacaze ne manquait pas de cœur. Il me dit, en essayant de se contenir : — Allons, monsieur, finissons-en tout de suite. — Je vis Paula changer de visage, et je lui dis en basque : — Rassurez-vous, il ne peut lutter contre un Navarrais.

Nous sortîmes tous les trois et passâmes par le village pour prendre avec nous le sous-lieutenant de Lacaze qui devait lui servir de témoin ; puis nous nous rendîmes dans un petit bois. Lacaze et moi nous avions pris, faute d’épées, deux sabres français d’infanterie, arme peu commode, mais qui ne m’embarrassait point. Je déconcertai tout de suite mon adversaire par ma garde espagnole, et après deux ou trois passes je lui traversai le bras d’un coup de pointe. L’arme du capitaine tomba, et son témoin déclara que le combat ne pouvait plus continuer, ce qui était manifeste. Errecalde banda lui-même la plaie de Lacaze, qui fut le soir même à Saint-Jean-de-Luz se mettre entre les mains du chirurgien; mais Errecalde s’y rendit de son côté pour voir le général Harispe, de qui il était particulièrement connu et estimé, ayant servi longtemps sous ses ordres. Le maire d’Ascain rendit compte au général de ce qui s’était passé; il demanda et obtint à la fois que Lacaze fût changé de compagnie et qu’on me rendît ma liberté.

Ai-je besoin de vous dire la joie de ma fiancée quand je rentrai à Aguerria? Le soir même, pendant l’absence de son père, nous eûmes un long entretien.

— Ma chère Paula, lui dis-je, mon duel sera demain la fable de toute la contrée. Il n’en faut pas davantage pour te compromettre, d’autant plus que j’habite depuis trois mois dans ta maison. Paula, nous ne pouvons plus tarder à nous marier : il me semble que ton père n’a maintenant aucune raison de ne pas me traiter comme un ami éprouvé.

Paula poussa un cri de joie et se laissa tomber dans mes bras.

O maïtenena! ô le plus aimé! s’écria-t-elle, tu as prévenu ma pensée. Oui, Manolo, il faut tout de suite interroger mon père. C’est moi qui le ferai demain, et il ne me refusera pas, si je lui porte le serment que tu me fais de ne plus me quitter...

Elle s’arrêta pour m’interroger du regard, comme si elle eût encore douté de ma constance ; mais je me jetai à ses pieds, lui jurant que rien au monde, aucun ordre, pas même le bruit du canon ou des clairons navarrais, ne pourrait me séparer d’elle. Trois années de service et deux blessures m’autorisaient à donner ma démission, surtout dans un moment où l’armée royale semblait condamnée au repos. Il ne s’agissait que d’écrire à mon général, et je promis de le faire aussitôt.

Le lendemain, Paula, rassemblant tout son courage, s’en alla trouver son père et lui conter qu’elle avait retrouvé son senargheï,