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La compagnie d’infanterie cantonnée à Ascain était relevée tous les trois mois. Quatre ou cinq semaines après mon aventure, un autre officier vint remplacer celui qui m’avait fait prisonnier et fut logé chez le maire d’Ascain, qui tenait à honneur cette hospitalité. C’était un capitaine, officier de fortune et fort mal élevé. Quand je le vis, je commençai à trembler, car il était tout à fait maître de mon sort; mais, s’il voulut me vexer, il s’y prit très mal. Dès le premier jour, à table, croyant faire sa cour au maître de la maison, il témoigna le plus grand dédain pour l’armée carliste. Errecalde prit fort mal la chose et lui répondit sèchement : — Monsieur, vous pouvez en croire l’expérience d’un vieil officier, les Basques sont peut-être les meilleurs soldats de notre armée, et ceux d’Espagne valent ceux de France. — Pour toute réponse, le capitaine se mit à ricaner, et je vis Errecalde froncer le sourcil. Un orage grondait qui ne tarda pas à éclater.

Le capitaine, — il s’appelait Lacaze, et je vous ai dit que c’était ce qu’on appelle un soudard : il y en avait encore dans ce temps-là, — le capitaine, se voyant logé sous le même toit qu’une très jolie fille, trouva tout naturel de la courtiser à peu près comme une servante d’auberge. Il adressa à Paula quelques propos galans qu’elle feignit de ne pas entendre. Lacaze ne se rebuta pas, et pour être sans doute plus persuasif joignit un beau matin je ne sais quel geste à ses paroles. Vous pouvez vous imaginer de quelle façon lui répondit Mlle Errecalde; mais le capitaine avait mal pris ses mesures, car le hasard voulut que la fenêtre de la chambre (c’était ici même) où il tentait sa conquête fût ouverte, et que nous fussions, Errecalde et moi, dans le jardin, à trois pas de la fenêtre. Nous entendîmes cette odieuse scène et nous précipitâmes l’un et l’autre dans la chambre. Lequel des deux était le plus irrité, je ne vous le dirai pas. Cependant Errecalde se contint. — Monsieur, dit-il à l’officier, vous venez de commettre une lâcheté. Je devrais vous demander une réparation; mais vous êtes mon hôte, et les coutumes de mon pays m’interdisent de me battre avec vous. J’espère seulement que vous ne coucherez pas ce soir dans ma maison.

Le capitaine ne disait mot; je m’avançai. — M. Errecalde a raison, lui dis-je, mais moi qui ai avec lui des liens de reconnaissance, je peux le venger, lui et sa fille. C’est à moi que vous avez affaire.

Il me toisa du regard et me dit insolemment : — Je vais donner l’ordre de vous arrêter.

— Un moment, monsieur, s’il vous plaît, répliqua Errecalde. D’abord vous n’arrêterez pas M. Haristeghia chez moi. Et puis il est votre égal, capitaine comme vous dans une armée régulière. Il a le droit de vous provoquer : nous allons voir comment vous vous tiendrez avec un Basque.