— Oh! Dieu, est-il possible! m’écriai-je. Ah! pardonnez-moi! Comment aurais-je deviné cela? comment aurais-je pu croire à tant d’affection ?
— Sorrondo, reprit Paula avec orgueil, ne t’ai-je pas donné ma foi? Rappelle-toi la course de Lesaca. Ce jour-là, nos fiançailles ont été écrites par le destin, et j’ai senti que je ne m’appartenais plus. C’est de tout mon cœur que je t’ai promis d’être ta femme. Quand tu es parti, je ne savais pas si tu reviendrais de cette terrible guerre... Et si tu étais revenu, je ne savais pas non plus ce que ferait mon père, car il n’aime pas les carlistes, et je sais qu’il a beaucoup plus de terres que toi. Cependant je me suis détournée de tous les jeunes gens qui ont voulu me parler. Simon Louberria, Vincent Hiriart et d’autres ont perdu leurs peines ; j’ai gardé ma robe noire malgré les reproches de mon père.
Que répondre à de tels aveux?.. J’étais déjà à ses pieds, et je prenais ses mains pour les couvrir de baisers. Elle me releva, et nous restâmes dans les bras l’un de l’autre...
Ce fut un de ces momens de bonheur trop rares dans la vie de l’homme, mais si beaux, si doux, que le souvenir en est encore aussi vivant après trente années. Je connus cette nuit-là un sentiment nouveau. Il ne s’agissait plus d’une amourette d’enfant, comme au temps des courses de bague. Deux années de vie guerrière avaient fait de moi un homme. Le cœur ne s’ouvre bien que dans les épreuves et dans la lutte. Je pouvais maintenant comprendre ce que valait mon amaztegheïa, sa beauté et surtout son âme. Alors seulement je l’aimai et je me donnai tout entier à cette généreuse fille, qui eût mérité l’amour d’un roi.
— Il faut que tu partes, me dit-elle, car on te prendrait pour te mettre en prison. Manolo, quand reviendras-tu?..
Cette question me rendit à moi-même en me rappelant tout à coup mon devoir.
— Hélas ! répondis-je, Dieu sait quand la guerre sera terminée et quand il me sera permis de revenir.
Paula ne put retenir un cri d’effroi. Elle me supplia d’avoir pitié d’elle, me représenta que je n’étais pas Navarrais, qu’aucune loi ne m’obligeait à me dévouer jusqu’au bout à la cause des fueros, — Tu en as fait assez pour ta gloire, me dit-elle, reviens au pays, et nous serons heureux.
Je n’eus pas de peine à lui faire comprendre qu’il me fallait d’abord rendre compte de ma mission, et que je ne pourrais quitter avec honneur l’armée carliste tant qu’il n’y aurait pas au moins une suspension d’armes. Elle me demanda si je prévoyais que la guerre pût durer longtemps encore.
— Les choses comme les hommes ont leur destinée, lui répondis-je.