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de Pampelune ont seuls le droit de leur faire la loi. Vous devez le savoir, si vous êtes Basque.

— Oh ! oh ! jeune homme, reprit d’un air goguenard le maire d’Ascain, vous avez appris à chanter avec les coqs. Quittez ces idées et ce ton-là en France, mon ami, sinon vous pourriez vous en repentir.

Le sang me monta à la tête, et j’allais répliquer quelque insolence; mais la jeune fille, qui n’avait rien dit, me jeta un regard suppliant; je saluai froidement Errecalde et m’éloignai.

Il était trop clair que je venais de faire une double sottise, ayant du même coup offensé Errecalde et déplu à sa fille. Le moyen après cela de partir sans avoir obtenu mon pardon? Et si je prenais les armes avec les Navarrais, n’était-ce pas perdre pour toujours ma fiancée? Aussi, quand j’arrivai à Sare, je me contentai de raconter le départ des volontaires de Lesaca. — Dieu soit loué ! — s’écria ma mère en joignant les mains; puis elle me demanda si je n’avais pas eu quelque envie de suivre mes anciens compagnons à la guerre. Je répondis en rougissant que je l’aurais fait volontiers, mais que je me félicitais de n’y être pas obligé et de rester auprès d’elle.

— Je t’aurais donné de grand cœur à ma patrie, me dit ma mère, mais je suis heureuse de te conserver. Peut-être n’est-ce pas seulement pour moi que tu restes, ajouta-t-elle, les mères savent tout deviner.

Je fis demander à Paula Errecalde un rendez-vous, car la saison était pluvieuse, et il n’y avait pas moyen d’aller le soir causer avec elle sous sa fenêtre. Nous nous rencontrâmes dans un sentier, près d’Ascain, et je vis bien qu’elle n’était point fâchée; mais il n’en était pas de même de son père. Errecalde avait pris autrefois dans l’armée des opinions libérales, comme on disait alors. Il s’était réjoui de la révolution de 1830, il applaudissait à l’avènement des constitutionnels en Espagne et se montrait christino d’autant plus ardent que ses compatriotes inclinaient la plupart vers le parti contraire. Le plus sûr moyen de lui déplaire eût été d’aller se battre avec les carlistes. Voilà ce que me déclara sa fille à mon grand désappointement. Nous nous séparâmes avec beaucoup de tristesse, nous promettant l’un à l’autre de prendre patience et même d’attendre quelque temps avant de nous rencontrer. Pour la voir dans cette saison de pluie ou de neige, il eût fallu aller chez elle, et son père n’était pas d’humeur à me recevoir.

Cependant la guerre qui avait éclaté sur la Navarre et les Provinces nous envoyait ses échos par-dessus la frontière. Nos contrebandiers, qui faisaient passer la poudre et les fusils aux carlistes, rapportaient sans cesse des nouvelles d’Espagne. Chaque jour, à Sare, on se demandait : Où est l’armée basque? Et l’on apprenait