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— Beau temps pour les contrebandiers, dis-je à Edouard : les patrouilles n’auront pas envie de courir la montagne.

— Il ne faut pas s’y fier, répondit Domingo en jetant son manteau sur ses épaules. Messieurs, reposez-vous et dormez. Vous aurez des vautours au matin, car le berger me dit qu’il a jeté une brebis dans le ravin d’à côté. Nous allons tous les deux maintenant faire le guet pour mon oncle.

Le berger alluma une torche de résine, qu’il planta dans un trou de la muraille, et tous deux sortirent.

Deux minutes après, nous entendîmes au dehors quelques voix d’hommes, et quatre douaniers entrèrent dans la cabane. Qui fut le plus surpris d’eux ou de nous, je ne saurais le dire. Le brigadier nous toisa du regard, et d’un ton d’autorité : — Que faites-vous, messieurs, nous dit-il, si près de la frontière au milieu de la nuit? Avez-vous des papiers?

Edouard s’empressa de montrer une lettre du préfet des Basses-Pyrénées, M. d’A..., avec qui il entretenait des relations amicales. La signature du premier magistrat du département produisit un excellent effet, tandis que de mon côté je montrais un ancien passeport. Le douanier s’humanisa, et nous demanda poliment si nous étions sur la Rhune en simples touristes ou en chasseurs. Nous montrâmes nos fusils.

— Je comprends, dit le brigadier. C’est peut-être vous que nous aurons aperçus tantôt par le clair de lune au-dessous de l’Hucelhaya. Cependant il y avait plus de monde : où sont vos guides?

D... répondit que notre unique guide était allé s’assurer d’un appât pour les vautours que nous devions tirer à l’aube.

— Eh bien, messieurs, reprit le douanier, bonne chasse! nous continuons la nôtre. En route!

— Brigadier, lui dis-je alors d’un ton dégagé, vous n’allez pas vous tremper encore sous la pluie, vous et vos hommes, sans prendre un peu d’eau-de-vie. J’en ai là qui n’est pas à dédaigner. — Et je lui tendis ma gourde.

— Ma foi, monsieur, répondit le douanier, ce n’est pas de refus. Il prit la gourde, y but sans façon une bonne gorgée et la tendit à ses soldats, qui ne se gênèrent pas davantage. Je regardais pendant ce temps plusieurs médailles qui ornaient la poitrine du brigadier. — Il n’y a pas longtemps, lui dis-je, que vous êtes sorti de l’armée, car je vois que vous avez fait les dernières campagnes. Dans quel régiment?

— Dans le 59e, monsieur : un régiment qui a de beaux états de service.

— Oh! parbleu, je le connais : il a fait campagne avec le mien en Italie, et je peux dire qu’il se battait bien.