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de l’Italie, et on mit à leur place des hommes modérés, libéraux, qui rendirent de réels services. Or, dans les derniers temps, par la faiblesse de quelques ministres de la justice, l’ancien personnel est arrivé à remplir de nouveau les postes les plus importans de la magistrature sicilienne. Ce personnel est ouvertement hostile au gouvernement, et, s’il faut en croire l’opinion publique, trop souvent il apporterait jusque dans l’administration de la justice des préoccupations politiques et des calculs de parti. Ce qu’on peut affirmer du moins, c’est que depuis plusieurs années il ne s’est pas présenté un seul cas où le domaine ait gagné une de ses nombreuses causes devant les tribunaux civils de Palerme.

Comme on le voit, la situation exige de la part des gouvernans beaucoup de tact et de jugement, beaucoup de décision aussi et de fermeté : ils ont à lutter contre une coalition qui est tout à la fois une menace politique et un danger social; du moins peuvent-ils compter sur le concours de la population honnête et intelligente. Ainsi et avant tout l’abolition du jury, mesure temporaire, si l’on veut, mais indispensable, un choix particulier des magistrats, une action plus prompte de la justice dans les instructions criminelles, la punition rigoureuse des témoins réfractaires, le désarmement des populations opéré graduellement et non par secousses, enfin le transport des condamnés siciliens dans les prisons et les bagnes des autres provinces de l’Italie, tels sont les moyens qui, de l’aveu des plus compétens, pourraient porter au malandrinaggio un coup décisif. Quelques-uns d’entre eux, appliqués à la répression du crime agraire en Irlande par le Peace preservation act de 1869, y ont déjà donné d’excellens résultats et ne seraient pas moins utiles en Sicile. Au reste on peut encore différer d’opinion dans le détail et discuter sur le remède à appliquer, on ne niera pas qu’un remède ne soit nécessaire. Le bonheur et la prospérité de la Sicile importent trop aux intérêts de la patrie commune. Cette île, une des plus fertiles du monde, placée si belle entre trois mers propices, cet emporium de l’antiquité, ce grenier d’abondance de la vieille Rome, ne doit pas être ainsi une terre de famine et de désolation et, devenue la proie des bandits, faire la honte des nations civilisées. Tous ceux là-bas qui ont à cœur l’avenir de leur pays s’inquiètent et travaillent. Pour nous, dans cette lutte entreprise contre le vice, l’ignorance et la misère, nous ne pouvons qu’applaudir aux généreux efforts du parti libéral, et faire des vœux pour que la malheureuse Sicile, exploitée, asservie, opprimée depuis tant de siècles, se retrouve enfin elle-même et reprenne dans la grande famille italienne le rang auquel lui donnent droit sa position géographique, son passé, la vitalité de son peuple et les merveilleuses ressources d’un sol inépuisable.


L. LOUIS-LANDE.