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Vladimir envoyait au loin ses héros, soit pour lui quérir une épouse, soit pour approvisionner sa table de gibier, soit pour payer le tribut à la Horde, soit pour l’exiger de la Suède, de la Turquie et de la Boukharie. L’histoire en témoigne comme l’épopée : la Russie, assaillie par les peuplades nomades, ne laissait pas un instant de repos à ses défenseurs. Dans les documens authentiques, on pourrait retrouver l’écho des plaintes que le Dobryna légendaire épanche sur le sein de sa mère. « Ah ! madame ma mère, pourquoi as-tu enfanté le malheureux Dobryna? que ne m’as-tu attaché une pierre au cou après ma naissance pour me jeter dans les flots bleus! J’aurais dormi pour toujours au fond de la mer, je n’aurais point erré dans la campagne rase, fait périr tant de misérables, versé tant de sang inutile, affligé tant de veuves et de petits orphelins. » C’est le même sentiment de lassitude héroïque, d’humaine compassion pour les races maudites, que nous avons déjà surpris chez Ilia lorsqu’il croit marcher à la mort. Il faut remarquer cette différence entre les héros russes, batailleurs par nécessité, et ceux des chansons de gestes, batailleurs par goût et passion : Dobryna et Ilia se plaignent d’avoir à exercer leur valeur; Guillaume au Court-Nez appelle de tous ses vœux une invasion des infidèles, et maudit l’humeur pacifique des Persans et Sarrasins, qui ne lui donnent point occasion de « prouver son hardement. »

Nous avons déjà rencontré le nom d’Alécha Popovitch. Lui aussi est un dompteur de dragons. C’est lui qui terrasse Tougarine, géant ailé, fils du serpent. Alécha a supplié le Christ de lui envoyer une nuée humide : les ailes de Tougarine, mouillées par la pluie, cessent de le soutenir; il tombe sur le sol. Alécha, pour achever la victoire, a recours à un stratagème d’opéra-bouffe. « Comment! lui dit-il, tu m’as promis un combat seul à seul, et voilà derrière toi une armée innombrable. » Le dragon se retourne pour voir cette armée; Alécha profite du moment pour se jeter sur lui et lui couper la tête. Le Popovitch n’est point un héros sympathique. Il a, comme Loki, le dieu germain, certains traits des puissances mauvaises qu’il combat. A la table de Vladimir, il joue le rôle d’insulteur public : il n’a point de respect pour les femmes; il trahit son frère d’armes Dobryna et veut épouser Nastasia en son absence; il sert les mauvaises passions et les méchans projets de la princesse Apraxie. Enfin, en sa qualité de fils de pope, on lui reproche d’avoir des mains et des yeux avides. — Un quatrième héros, Potik Ivanovitch, avait fait un pacte avec sa femme : si l’un des époux venait à mourir, le survivant serait enseveli avec lui. La femme mourut; Potik descendit avec elle dans le tombeau ; mais là il rencontra le Serpent de la Montagne, le vainquit et l’obligea d’apporter l’eau vivifiante qui lui permit de ramener sa compagne à la lumière. Cette byline