Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
617
LE MALANDRINAGGIO EN SICILE.

heureux présage, et cependant en elle-même la situation n’est pas sans danger. Voilà Palerme, une des cités les plus belles de l’Italie, centre historique d’une des provinces les plus importantes, où s’agite un parti puissant, ouvertement opposé à l’existence du royaume même, et qui, hier à peine, avait partout la majorité; mais, chose plus grave encore, à l’intérieur de cette ville ou dans ses alentours, vit une foule de misérables, rebelles à la loi, toujours prêts à se mettre au service du premier venu contre le gouvernement établi, parce qu’à leurs yeux tout gouvernement a le tort d’empêcher le vol et l’assassinat. Aux prochaines élections générales, la lutte en Sicile sera des plus vives. Un moment de faiblesse ou d’aveuglement de la part des autorités locales, et le pays pourrait revoir les horribles scènes de 1866. La répression serait prompte et décisive sans doute; mais le dommage matériel et moral qui résulterait pour la Sicile d’une nouvelle convulsion serait incalculable, terrible aussi le coup porté à la liberté, pour qui toute victoire obtenue en versant le sang des citoyens est peut-être pire qu’une défaite.


II.

En Italie, on fait une distinction entre l’ancien brigandage des provinces napolitaines et le malandrinaggio sicilien. Cette distinction est parfaitement juste. Même dans les parties de l’île les plus troublées, il ne se forme presque jamais de bandes capables de tenir la campagne. En effet, l’état des lieux se prêterait moins que dans la Calabre, la Terre de Labour, la Basilicate ou les Abruzzes, à une lutte de guérillas. Rarement il arrive que le malandrino sicilien soit, comme le brigand napolitain, un homme qui a rompu avec la société, et qui vit en guerre ouverte avec elle : cela n’est vrai que pour quelques-uns, les plus connus et les plus redoutés, qui, par le nombre ou l’importance de leurs méfaits, en sont réduits à se cacher. Du reste, il faut bien le dire, les rangs de ces derniers se sont beaucoup grossis depuis la loi nouvelle sur la conscription ; jusqu’alors en Sicile les levées régulières de soldats n’étaient point connues, les Bourbons préféraient de tout point y entretenir des régimens suisses, sauf à tirer des insulaires une certaine somme annuelle; aussi bon nombre des jeunes gens appelés ont-ils préféré au service militaire l’émigration, la fuite ou le brigandage. L’année dernière encore, le général Medici, dans un rapport officiel, avouait, pour le seul arrondissement de Palerme, un total de plus de 7,000 réfractaires sur 90,000 inscrits. En général cependant, sous le nom de malandrins, il faut entendre des hommes qui vivent à peu près comme tout le monde, qui de fait ou en apparence exercent une profession et qui à l’occasion se réunissent pour faire un bon coup et