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mais la coalition survit, sourdement travaille et attend. Chassée de la rue, pendant cinq ans encore elle a pu à Palerme rester maîtresse de toutes les élections politiques ou administratives. Pour dominer l’opinion, elle a repris habilement l’arme du sicilianisme qui servit autrefois contre les Bourbons. C’est une guerre acharnée, de tous les jours, de tous les instans. Dans la presse, dans les confessionnaux, dans la chaire, à l’intérieur des familles, dans les maisons d’éducation, partout enfin où peut s’exercer l’influence du prêtre, le clergé prêche la haine de l’Italie et de l’unité. A l’entendre, il n’y a pas de patrie commune, insulaires et continentaux ne sont pas de la même race; l’Italien n’est qu’un étranger venu pour piller et pour asservir la Sicile, et quiconque pactise avec lui est digne du nom de traître et de renégat. En même temps, on s’attaque aux réformes, aux institutions nouvelles : qu’un jour la municipalité palermitaine essaie de ramener à des formes plus décentes et plus raisonnables les superstitions semi-catholiques, semi-païennes, qui font ou à peu près toute la religion du petit peuple, qu’on parle de restreindre le nombre des fêtes chômées, aussitôt le clergé d’entrer en indignation et de crier au sacrilège; la loi même avec lui n’est pas toujours respectée. Jusqu’en 1865, en Sicile, pour la validité civile du mariage, il fallait tout d’abord qu’un engagement solennel eût été pris par les conjoints en présence de l’officier de l’état civil; la célébration religieuse venait en second lieu. Or, dans les trois années qui ont suivi l’application du nouveau code italien, il y a eu, pour ne parler que de quatre provinces, — Palerme, Girgenti, Trapani, Syracuse, — 8,847 mariages purement ecclésiastiques, c’est-à-dire civilement nuls : les enfans nés de ces unions sont des bâtards devant la loi; on voit d’ici le trouble qui doit en résulter plus tard dans les rapports de famille et dans les mutations de la propriété. Le clergé sicilien du reste, pour satisfaire d’impolitiques rancunes, n’a pas hésité à se sacrifier lui-même; lui, jadis si fier, si indépendant, il a renié son passé et ses traditions, il s’est soumis docilement à toutes les exigences du saint-siège, et, plutôt que de rien devoir au pouvoir civil, il a accepté sans résistance l’abolition de la légation apostolique qui garantissait les libertés et les privilèges de l’église de Sicile. Aujourd’hui le mot d’ordre lui vient de Rome, et les ultramontains mènent à leur gré la coalition.

Cette coalition, il est vrai, ne peut que contrarier l’action régulière du gouvernement et retarder les progrès du pays sans peser jamais d’un grand poids sur la politique italienne ; d’ailleurs bon nombre des passions et des intérêts qui l’ont rendue possible sont destinés à disparaître avec la génération présente : le temps, la force même des choses et l’exercice de la liberté finiront par en triompher. Les derniers succès des libéraux sont pour l’avenir d’un