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LE MALANDRINAGGIO EN SICILE.

de tous. Beaucoup, et les plus nombreux, n’avaient pas part au festin; furieux, ils faisaient volte-face, et, changeant de programme, se rapprochaient une fois de plus des libéraux dont quelques-uns ne craignaient pas de frayer avec eux pour les faire servir à une nouvelle révolution.

En 1860, les choses se passèrent tout autrement. La mafia s’unit aux masses soulevées par Garibaldi; elle se forma en escouades, ouvrit les prisons et les galères, délivra un grand nombre de condamnés auxquels il fallut, selon l’habitude, accorder l’amnistie, elle se promena plusieurs jours à travers les rues de Palerme les armes à la main, et y commit mille excès; mais un événement imprévu vint l’arrêter tout à coup au beau milieu de ses triomphes. Fort de son prestige et du concours matériel et moral de toute l’Italie, Garibaldi osa ce qu’un gouvernement révolutionnaire purement sicilien n’aurait jamais pu faire : il prononça le licenciement des bataillons et congédia ces bandits. Les malandrins obéirent à contre-cœur, mais ils obéirent, et, tant que dura la dictature, se gardèrent bien de bouger. Plus tard, à la faveur des divisions politiques causées par l’annexion, ils crurent pouvoir recouvrer l’importance étrange dont ils avaient joui dans les révolutions précédentes et à laquelle ils tenaient comme à un droit. Repoussés d’abord par le parti d’action, ils s’adressèrent aux réactionnaires. De ce côté, un meilleur accueil leur était réservé; exhortations, subsides ou promesses, rien ne fut ménagé pour s’assurer leur précieux concours. Ils furent le bras droit de la coalition dont le clergé était la tête, et le moment venu, — ils le croyaient du moins, — ils prirent ouvertement les armes et engagèrent la guerre des rues.

C’était au mois de septembre 1866 : la lutte de l’Italie contre l’Autriche était à peine terminée; en fait de troupes, il ne restait plus en Sicile que quelques dépôts; les libéraux eux-mêmes les plus influens, partis depuis plusieurs mois pour combattre l’étranger, n’étaient pas encore revenus ; durant sept jours, Palerme connut toutes les horreurs d’une ville prise d’assaut. Par bonheur, le soulèvement général de l’île, sur lequel la coalition avait compté, n’eut pas lieu, partout son appel resta sans écho; l’opinion publique au contraire se déclara pour le gouvernement, et l’insurrection fut vaincue avant même d’avoir pu dépasser les murs de la ville. Quant au clergé, dans son aveuglement, il n’avait fait que hâter la crise qu’il aurait voulu éviter; l’entrée à Palerme des troupes italiennes marqua la fin des corporations religieuses dont la participation à la révolte avait été trop évidente et trop directe.

Depuis lors la lutte, sans être moins vive, a pris un autre caractère. L’énergie prudente et calme du gouvernement local n’a pas permis qu’une nouvelle tentative à main armée ensanglantât le pays,