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LE MALANDRINAGGIO EN SICILE.


Du moins, parmi les hommes du gouvernement, ceux qui après l’annexion furent chargés d’administrer la Sicile devaient-ils réserver leur opinion; eux aussi commirent la faute, et cette fois impardonnable, de vouloir juger prématurément ce qu’ils connaissaient si peu. Par leurs dédains impolitiques, ils éveillèrent les susceptibilités d’un peuple orgueilleux et fier à l’excès : le Sicilien pardonnera peut-être un coup de couteau, il n’accepte pas le mépris. La révolution d’ailleurs laissait après elle bien des mécontens; trop d’intérêts avaient été atteints, d’espoirs déçus, de vanités froissées. De jour en jour, l’opposition grandit avec l’irritation du pouvoir : les uns ne tarissaient pas d’éloges pour cette noble race sicilienne, ardente, généreuse, ennemie-née du despotisme, tombée aux mains des agens du gouvernement italien, qui ne savait rien faire pour elle qu’en tirer de l’or et du sang; les autres se plaisaient à voir dans la Sicile un pays demi-barbare, ingouvernable, toujours mécontent, incapable de supporter aucun degré, aucune forme de liberté, et que, dans son intérêt même, il fallait civiliser par la force et traiter en pays conquis. Ces idées contraires, recueillies et développées au gré des passions, se répandirent dans la péninsule; de part et d’autre, on les adopta sans contrôle, on s’en servit tour à tour pour attaquer ou pour défendre la conduite du gouvernement envers les Siciliens : maintenant encore, des deux côtés du détroit, elles entrent comme argumens dans la lutte des partis, et, bien que l’insurrection de 1866, provoquée par la réaction, ait donné fort à réfléchir aux libéraux de toute nuance, il n’est pas rare d’en retrouver l’écho dans des récriminations réciproques, injustes pour la plupart ou tout au moins exagérées.

En Sicile, quoi qu’on ait pu dire, il n’y a pas de républicains : le peuple sicilien au contraire, par tradition et par instinct, serait peut-être le plus monarchique de l’Italie : la fidélité ne lui coûte ni ne lui pèse, volontiers il accepte un souverain ; mais, en même temps et par-dessus tout, il tient à son autonomie, il veut un roi particulier, qui réside dans le pays ou dont les délégués, siégeant en son lieu et place, soient revêtus de pouvoirs suffisans pour assurer l’indépendance de la Sicile. L’île, depuis des siècles, formait un royaume à part, et le peuple demandait que toujours il en fût ainsi. Une des principales causes de sa haine contre le gouvernement déchu, c’est que jamais les Bourbons n’ont consenti qu’à contre-cœur, et forcés par les circonstances, à reconnaître cet antique droit du pays. Absolutistes ou constitutionnels, tous les Siciliens étaient unanimes dans leur désir d’une monarchie propre, et l’on n’a pas à chercher ailleurs l’idée qui, par trois fois dans la première moitié du siècle, leur mit les armes à la main.

Dans toutes les révolutions de Sicile, la mafia a joué un rôle fort