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sans méconnaître les difficultés à vaincre, signalait à l’attention du gouvernement quelques-unes des réformes les plus nécessaires, il s’inquiétait surtout de la sécurité publique. Malheureusement jusqu’ici aucune mesure sérieuse n’a été prise contre le « malandrinage. » La loi nouvelle sur le jury, votée ces jours derniers au parlement, serait peut-être un palliatif, elle n’est pas un remède, et le mal cependant sévit plus violent que jamais.

Les Italiens du reste, presque autant que nous, ignorent ce qui se passe en Sicile, et pour la plupart se font de la situation les idées les plus erronées ; cette ignorance se comprend sans peine. Jusqu’en 1860, grâce à la politique soupçonneuse de ses gouvernans, pour qui elle était tout à la fois une source de revenus et un sujet de perpétuelle terreur, la Sicile a vécu à l’écart des autres provinces de la péninsule. Avec Naples, la séparation était encore plus profonde : les Bourbons en effet ne négligeaient rien pour aviver les anciennes haines entre les deux peuples qui leur étaient soumis, se servant de l’un et de l’autre avec une habileté perfide pour les dompter et les opprimer tour à tour. Dans le reste de l’Italie cependant, les efforts réitérés tentés par les Siciliens depuis le commencement du siècle au nom de leurs libertés menacées avaient profondément ému l’opinion publique. Aussi quand, dans les premiers jours du mois d’avril 1860, le bruit se répandit sur le continent qu’un nouveau soulèvement venait d’éclater à Palerme, quand Garibaldi résolut de se lancer dans la lutte et d’apporter aux insurgés l’appui décisif de son nom et de son épée, les Italiens accoururent en foule autour de lui, et , pleins de nobles illusions , firent voile vers la Sicile, où ils voyaient déjà une terre sacrée et comme le boulevard de la liberté moderne.

Que trouvèrent-ils à leur arrivée ? Un pays dont l’état social offrait partout l’image trop fidèle de l’ancienne féodalité ; un peuple qui avait sa manière à lui de sentir, de haïr, de combattre, qui comprenait dans un sens étroit et tout personnel les grands événemens auxquels il assistait, chez qui enfin avec de fortes qualités se trouvaient réunis beaucoup des vices qu’engendrent au sein d’une société de longs siècles de misère et d’oppression. Le désappointement fut complet. Les nouveau-venus quittaient des pays qui tous avaient dans quelque mesure profité des réformes de la révolution française ; bien peu connaissaient le passé historique de la Sicile, ils ne pouvaient se rendre compte des progrès relativement rapides qu’y avaient faits depuis peu les idées libérales, ils n’avaient ni le temps ni les dispositions d’esprit nécessaires pour approfondir ces questions complexes. Trompés dans leur attente et dégoûtés de la réalité, ils brûlèrent ce qu’ils avaient adoré et mirent dans la critique autant d’ardeur et d’exagération qu’ils en mettaient naguère dans l’éloge.