Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’importe à l’auteur la réalité? Son idée fixe l’empêche de tenir compte des faits qui frappent tous les yeux. Après avoir passé en revue les modifications persistantes ou accidentelles qu’on observe parmi les hommes, rappelé les conditions d’existence des peuples civilisés ou barbares et tout attribué à la sélection, il écrira : « En admettant que la différence entre l’homme et ses proches alliés[1] soit dans la structure du corps aussi considérable que l’affirment plusieurs naturalistes, et en accordant que la différence entre eux est immense sous le rapport des facultés intellectuelles, néanmoins les faits dont il a été question me paraissent montrer de la manière la plus satisfaisante que l’homme est descendu d’une forme inférieure, bien que jusqu’ici on n’ait pas découvert d’intermédiaires. » Ce dernier trait est un détail dont il ne convient pas au savant anglais de s’embarrasser. Un jour, une erreur incroyable, maintenant partout signalée, est commise par un observateur. Il s’agit de mollusques inférieurs, des ascidies, les outres de mer, comme les pêcheurs les nomment. On avait cru reconnaître chez les larves de ces ascidies un mode de développement analogue à celui des animaux vertébrés. Pour M. Darwin, cela doit être vrai : il s’écrie que c’est une découverte d’un intérêt extraordinaire; à présent il ne doute plus de l’origine de l’homme.

Qu’on entende donc les paroles mêmes du trop ingénieux naturaliste : « Les premiers ancêtres des vertébrés[2], dit-il, dont nous pouvons nous faire une image obscure, étaient apparemment d’un groupe d’animaux marins ressemblant aux larves des ascidies actuelles. Ces animaux furent probablement la souche de poissons d’une organisation inférieure, et de ceux-ci doivent s’être formés les autres poissons. Ensuite un très petit progrès nous conduit aux amphibies. Nous avons vu que les poissons et les reptiles se rapprochaient par des liens intimes, et les monotrêmes[3], à un faible degré, unissent les mammifères aux reptiles. Personne ne peut dire maintenant par quelle succession les mammifères, les oiseaux et les reptiles dérivent de l’une ou de l’autre des deux classes de vertébrés inférieurs, savoir les amphibies et les poissons. Dans la classe des mammifères, il n’est pas difficile de concevoir les échelons qui mènent des anciens monotrêmes aux anciens marsupiaux[4], et de ceux-ci aux mammifères ordinaires. Nous arrivons de la sorte aux makis, et l’intervalle n’est pas large entre eux et les simiens. Les simiens alors se sont partagés en deux grandes branches, les singes du Nouveau-Monde et ceux de l’ancien monde; de la dernière branche,

  1. C’est-à-dire les singes.
  2. The most ancient progenitors.
  3. Les mammifères des genres Ornithorhynque et Échidné propres à l’Australie.
  4. Les marsupiaux ou mammifères à bourse, tels que les kangourous et les sarigues.