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n’attire l’attention. En dessous, la teinte des ailes est la couleur de l’ocre ou d’une autre matière terreuse, et ces insectes, nous apprend M. Wallace, se posent sur les feuilles sèches, dont il est parfois difficile de les distinguer. Chez divers papillons des pays chauds, les ailes antérieures sont pointues, et, sous les tropiques, cette forme est précisément celle des feuilles d’un grand nombre d’arbres et d’arbrisseaux ; du côté apparent, lorsque l’insecte est immobile, une grosse ligne médiane et des lignes obliques plus grêles figurent des nervures, et les nuances complètent l’illusion.

De telles particularités attestent combien les êtres faibles et sans défense sont pourvus de moyens de soutenir la lutte pour la vie. Il est aisé de se convaincre que des espèces appartenant aux diverses classes du règne animal doivent au vêtement d’échapper à des ennemis et de pouvoir surprendre le gibier qu’elles attendent pour se nourrir. L’avantage d’une coloration qui se confond avec celle du sol ou de la végétation est de toute évidence, mais la cause première de cette uniformité reste obscure. M. Wallace veut croire qu’une semblable harmonie ne s’est réalisée qu’avec le temps. A l’origine, la chenille n’aurait donc pas été verte comme les feuilles, le mammifère, le reptile ou l’insecte du désert gris comme les sables. L’espèce animale se serait appropriée au milieu par une lente sélection. En vérité, l’explication est peu satisfaisante; elle est démentie par les faits. Les oiseaux ayant les teintes du feuillage, les insectes dont les tégumens imitent l’écorce des arbres, ceux qui paraissent avoir emprunté la couleur du sol, ne varient pas d’une manière sensible; ils restent pareils à eux-mêmes dans toutes les circonstances. L’adaptation n’est pas également parfaite pour les individus de chaque espèce. Dans une région, l’animal a exactement la teinte qui le dissimule le mieux; dans une autre contrée, sa couleur, qui n’a pas changé, ne le protège pas au même degré. Si les êtres s’étaient appropriés aux milieux par un lent effort de la nature, l’harmonie complète existerait dans tous les cas, et nous verrions les individus d’une même espèce diversement colorés suivant les localités. Rien n’est moins ordinaire. L’idée de la sélection naturelle n’est pas plus féconde dans le monde réel que dans le monde imaginaire.

La protection donnée à l’animal par une couleur analogue à celle des objets qui l’environnent n’est pas générale. Des espèces de divers groupes dépourvues d’un pareil moyen de dissimulation ne sont pas néanmoins sans défense. Contrefaire le mort est un instinct qui sauve fréquemment l’être chétif. La faculté de mettre le corps en boule et de cacher les parties les plus vulnérables est bien connue pour le hérisson ; elle existe chez une multitude d’insectes. La possibilité d’émettre une odeur qui répugne à l’ennemi permet