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de s’en inquiéter. Si on demande pourquoi les espèces d’organisation élevée n’ont pas d’une manière générale supplanté ou exterminé les formes les moins parfaites, il répondra avec son assurance habituelle : « Dans notre théorie, l’existence continue d’organismes inférieurs n’offre aucune difficulté; la sélection naturelle, ou la survivance des individus les mieux doués, n’implique pas de toute nécessité un développement progressif, elle profite seulement de telles variations qui surviennent et qui réalisent un bienfait pour la créature. On chercherait en vain, ajoutera le narrateur, quel avantage il y aurait pour un infusoire, un ver intestinal ou même un ver de terre à posséder une organisation plus complexe. S’il n’y a pas d’avantage, les formes ne seront point améliorées ou ne le seront que faiblement; elles pourront demeurer à travers les âges dans la présente condition d’infériorité. » La contradiction est flagrante, la réflexion que suggèrent l’infusoire et le ver de terre s’applique à tous les types du règne animal comme du règne végétal; en un mot, la condamnation du système est prononcée par l’auteur lui-même dès qu’il consent à envisager l’état de la nature.


II.

Un naturaliste qui a beaucoup recherché les animaux en différentes parties du monde, M. Alfred Wallace, l’habile explorateur de la Malaisie, a manifesté d’une façon très indépendante des sentimens favorables à la sélection naturelle[1]. Il a été fait grand bruit d’un pareil acquiescement à certaines vues de M. Darwin, — on assure que la foi des premiers jours est maintenant très ébranlée; peu importe, car il s’agit de se préoccuper d’un ensemble d’observations et de remarques fort intéressantes. Jusqu’à présent, il n’était question que de choses imaginaires; avec M. Wallace, le spectacle de la vie réelle est devant les yeux; le champ de la controverse est borné à l’interprétation.

On sait combien d’animaux affectent les teintes des objets qui les environnent; le vêtement les dérobe à la vue et les protège, comme le manteau couleur de muraille dissimule le rôdeur nocturne. Un phénomène plus extraordinaire, c’est l’apparence ou la physionomie que des êtres de certains groupes semblent avoir empruntée à des représentans d’autres groupes. Depuis longtemps, on signalait de nombreux exemples de cette sorte de déguisement, et dans plusieurs circonstances sans comprendre le dessein de la nature. Un voyageur anglais, M. H. Bates, parcourut la vallée de l’Amazone accordant la meilleure part de son attention aux magnifiques lépidoptères qui abondent dans la chaude région, où ils répandent sur

  1. Contributions to the natural selection, 2e edit., London 1871.