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éminens naturalistes étrangers de notre époque, qui désirait faire bien comprendre la théorie sur l’origine des espèces, n’eut qu’à choisir un exemple imaginaire encore un peu plus saisissant que celui de l’autruche et de la taupe pour montrer toute la grandeur de l’idée. Un poisson, disait l’illustre professeur, s’approche de la rive, et, considérant le charme du paysage, cède à la folle envie d’aller faire un tour au bois. Avec une certaine lenteur, les nageoires s’allongent et se convertissent en pattes. Pour respirer dans l’air, les branchies sont inutiles et les poumons nécessaires ; quelques millions d’années, et tout s’arrange : nous avons alors un animal qui court et grimpe d’une façon irréprochable. À cette peinture s’ajoute à merveille la remarque souvent reproduite dans les œuvres du savant anglais : nulle difficulté d’explication ! L’histoire de la taupe serait infiniment plus bizarre que celle du poisson renonçant pour toujours à la vie aquatique. Avec le poisson, on peut chercher l’analogie dans les métamorphoses des grenouilles et des salamandres. Au sujet de la taupe, on n’aperçoit rien au monde qui donne la pensée d’un mammifère dont les membres, conformés pour la course, deviennent des instrumens de mineur d’une étonnante perfection. Si l’on suppose la sélection capable de produire un pareil miracle, il faut admettre qu’elle agira en sens contraire. Des individus s’ennuyant au milieu des ténèbres s’efforceront de s’établir au grand jour : alors peu à peu les yeux s’ouvriront, le museau s’affaiblira, les pattes s’effileront, et les descendans de nos fouisseurs seront des animaux agiles. Le domaine de la fantaisie n’a pas de limites ; mais, dans sa préoccupation de la réalité, l’observateur ne peut se défendre d’invoquer la science acquise. Des ossemens ont été rencontrés dans des couches déjà fort anciennes ; ils attestent que l’animal souterrain de l’époque actuelle ne diffère pas de l’animal des temps géologiques. La taupe est d’un type singulièrement caractérisé ; dans son voisinage, elle n’a pas de plus proches alliés que le hérisson et la musaraigne. Est-il possible d’imaginer un ancêtre commun pour la taupe, le hérisson et la musaraigne ! Sur ce point, M. Darwin cache son sentiment. Il a tort, car en présence de formes très nettement séparées,. il se tire habituellement d’embarras avec une aisance incomparable. Les intermédiaires, dira-t-il, avaient sans doute pour la vie moins d’aptitudes que les autres, ils ont disparu. Après cela, les partisans de l’évolution perpétuelle estiment qu’il est d’un esprit arriéré de ne pas se montrer pleinement satisfait d’une explication aussi heureuse.

De petits coléoptères carnassiers habitent des grottes obscures en quelques parties de l’Europe et de l’Amérique du Nord ; ils sont aveugles ; on les désigne sous le nom d’anophthalmes. L’auteur du livre sur l’Origine des espèces a été instruit que ces insectes ne ressemblent