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le plus important ou le plus général qui domine, malgré de notables déviations.

M. Darwin s’occupe des êtres qui habitent les lieux obscurs : animaux aveugles, en général très remarquables par l’ensemble des caractères. Le système conduit à déclarer que l’atrophie ou la disparition des yeux a est due probablement à une réduction graduelle provenant du défaut d’usage, mais peut-être aidée par la sélection naturelle. » M. Darwin se montre assailli par le doute. La cause de l’état des organes de la vision chez les créatures qui demeurent dans une nuit perpétuelle est donnée simplement comme probable, le concours de la sélection n’est pas affirmé. Cette réserve, qui trahit une immense inquiétude au sujet de la valeur de l’idée de la transformation sans limites, est pleinement justifiée. L’atrophie des yeux, par suite d’un séjour permanent dans l’obscurité, pourrait ne pas sembler un phénomène physiologique très extraordinaire ; mais ce n’est pas faire œuvre de science de s’arrêter à un point spécial de l’organisation du type, et de ne songer ni aux autres particularités de conformation, ni aux circonstances nécessaires ou indispensables à la vie et à la propagation de l’espèce. Or les animaux aveugles appartiennent la plupart à des types très singuliers; ils n’ont que des rapports éloignés avec les êtres de même groupe jouissant de la lumière[1]. M. Darwin témoigne d’une certaine faiblesse par son silence absolu à l’égard de tous les faits qu’il considère sans doute comme écrasans pour sa doctrine; il est vraiment trop habile dans cet art de la sélection dont il veut faire honneur à la nature.

Dès qu’il s’agit d’animaux aveugles, chacun pense à la taupe. Tout le monde connaît la bête au corps cylindrique, au museau saillant, aux pattes courtes et robustes si admirablement construites pour creuser. L’appropriation à la vie souterraine est complète jusque dans les moindres détails, et l’auteur du livre sur l’Origine des espèces n’aperçoit que l’état de cécité. La taupe a été rendue aveugle parce que la nuit règne dans sa demeure; comme les autres mammifères, selon l’avis de M. Darwin, les premiers parens de l’animal abhorré des cultivateurs avaient des yeux excellens. Demandons alors par quel prodige la créature née pour voir la lumière du soleil a pu devenir l’habitant des plus sombres retraites ; avec simplicité on nous répondra : j’imagine que l’animal aura trouvé quelque avantage à fuir la société. De nouvelles questions paraîtraient évidemment fort indiscrètes.

Le genre d’explication adopté par M. Darwin permet d’aller loin sans rencontrer d’embarras sérieux. Aussi, assure-t-on, un des plus

  1. Voyez les Conditions de la vie chez les êtres, dans la Revue du 1er mars 1870.