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montrent sans profit pour la descendance, de même que les défauts très accusés apparaissent et s’éteignent. Parmi les hommes, vit-on jamais le génie héréditaire, ou seulement la puissance intellectuelle, la grandeur du caractère, la noblesse des sentimens, la force physique, la beauté, devenir l’apanage d’une lignée? Parmi les animaux, observa-t-on une seule fois que des particularités un peu extraordinaires s’étaient transmises et demeuraient ineffaçables? Non, tout est fini lorsqu’on a montré des variétés locales qui se distinguent par de légères différences de taille ou de coloration; une des plus remarquables modifications dans les formes dont on cite l’exemple se réduit aux découpures de l’aile de certains papillons. Au sein de la nature, le spectacle qui s’offre à tous les yeux apparaît comme un effort incessant pour maintenir les types. A chaque génération, des individus s’écartent-ils de la masse des représentans de l’espèce, soit par un degré de supériorité ou d’infériorité appréciable, soit par quelques signes un peu étranges, aussitôt les influences naturelles et l’instinct se trouvent en jeu pour ramener la descendance au modèle ordinaire.

Les partisans des transformations indéfinies supposent que des individus ayant acquis par exception un avantage ou une qualité ont des chances de vivre et de multiplier très supérieures à celles de la foule. Certes ni l’observation ni l’expérience ne font naître pareille idée. Tout au contraire, on voit parmi les représentans de chaque espèce une moyenne prépondérante; d’une manière générale la médiocrité règne, parce qu’elle est la foule. Nulle part, les êtres qui ne portent point les marques des plus hautes faveurs de la nature ne luttent avec moins d’énergie que les autres pour vaincre les difficultés de l’existence et pour assouvir des passions. Ceux qui prétendent nous initier à la naissance de nouvelles formes végétales et animales négligent de s’occuper de l’ensemble des ressources dont les créatures disposent. L’instinct de conservation et les désirs qui assurent la propagation appartiennent à la généralité des êtres; s’ils viennent à s’affaiblir ou à disparaître dans les rangs inférieurs de la création, la fécondité y supplée dans une large mesure. La force et l’agilité, la ruse, l’adresse et la dissimulation sont au service de l’instinct. De même que l’homme robuste ou puissamment armé, l’animal vigoureux compte sur sa force quand il brave le danger; plus faible, il emploie la ruse, et celui qui se sert de la ruse triomphe souvent de celui qui met toute sa confiance dans la force. Des actions fort diverses se trouvent continuellement en lutte, et de la sorte les créatures les moins heureusement douées gardent le droit de vivre et d’accomplir leur destinée près des êtres en possession de plus grands avantages.

Le naturaliste déclarant avec hardiesse que la variation qui n’est