Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déplaisant d’avoir à dépenser de fortes sommes pour mettre leur outillage arriéré à la hauteur de celui de ces nouveaux compétiteurs. Mais en 1871 leur situation d’esprit était bien changée. L’expérience les avait éclairés, et c’est une autorité devant laquelle les hommes d’affaires ont la sagesse de s’incliner. Ils avaient reconnu que les Anglais n’étaient pas des concurrens aussi terribles qu’ils se l’étaient laissé dire. Ils avaient fait la dépense du renouvellement de leur matériel, et ils s’en trouvaient bien, car ils en étaient amplement rémunérés par la diminution de leurs frais de production et l’accroissement de leurs bénéfices. La plupart avaient agrandi leurs affaires, et les profits avaient suivi la même progression. D’ailleurs le projet d’un gros impôt sur les matières premières ne pouvait que leur être antipathique : il devait les astreindre à avoir pour une même étendue d’affaires un supplément de capital malaisé à trouver toujours, plus difficile dans les pénibles circonstances de 1871. Non-seulement les droits sur les matières premières étaient une entrave à la liberté du travail, aux facilités dont tout chef d’industrie a besoin surtout s’il s’occupe d’exportation, mais les droits de sortie et les droits de navigation devaient leur paraître et leur parurent en effet empreints de ce même caractère fâcheux. Quelques-uns de nos manufacturiers auraient vu sans déplaisir élever les droits de douane sur les produits fabriqués; mais tous se félicitaient de ce que le gouvernement du second empire, lorsqu’il avait établi la liberté très tempérée du commerce extérieur, qui fait le fond du traité, avait, pour rendre la transition plus facile et la position meilleure à nos manufacturiers, commencé par l’abolition des droits de douane sur les matières premières, sur les textiles particulièrement. M. Thiers, en prenant dans sa loi de finances de juin 1871 le contre-pied de cette mesure, ne pouvait que les mécontenter. L’avantage très problématique qu’ils pouvaient attendre d’une augmentation des droits de douane déjà élevés qui étaient stipulés par le traité de commerce ne pouvait balancer l’inconvénient très positif de l’établissement de gros droits sur les matières premières. Tous ceux qui avaient quelque habileté avaient constaté que sous les droits portés au traité l’importation des marchandises étrangères ne les empêchait pas de bien écouler leurs produits sur le marché français. En un mot, la partie fondamentale du programme financier de M. Thiers, celle que cet homme d’état avait le plus à cœur, la démolition du traité de commerce par le moyen d’un droit sur les matières premières, déplut extrêmement aux manufacturiers français, qu’il avait espéré séduire.

Du côté des puissances étrangères, la déception du chef de l’état ne devait pas être moindre. Il ne pouvait convenir à des gouvernemens placés tous sous le contrôle d’assemblées délibérantes de renoncer