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par d’énergiques réclamations populaires en faveur du pain à bon marché.

Ainsi pendant les dernières années de son existence le gouvernement whig, tout absorbé qu’il était par le souci d’équilibrer le budget, fermait les yeux pour ne pas voir qu’il dépendait de lui de résoudre le problème en donnant une impulsion nouvelle à la production par une réforme libérale des lois qui régissaient le commerce extérieur. Réduit aux abois, il se livrait à des expédiens hasardeux, tels que celui, qu’il est bon de noter parce qu’on nous l’a trop recommandé en France dans ces derniers temps, de grossir de 5 pour 100 le tarif d’un certain nombre d’impôts indirects. Le chancelier de l’échiquier (ministre des finances) était dans le parlement l’objet des sarcasmes de Robert Peel, alors chef de l’opposition, qui le dépeignait comme un infortuné pêcheur jetant vainement sa ligne de tous côtés pour attraper un budget en équilibre. L’opinion publique, si favorable aux whigs lors de l’avènement de lord Grey et les années suivantes, finit par tourner contre les successeurs de cet homme illustre, parce qu’ils furent convaincus de stérilité et d’incapacité dans le rétablissement des finances. En novembre 1841, les tories rentrèrent au pouvoir, Robert Peel en tête.

Avec la résolution qui est propre dans les temps difficiles aux hommes d’état dignes de ce nom, Robert Peel sentit qu’il fallait prendre un grand parti. Pendant les quatre sessions consécutives de 1842 à 1845, il remania profondément le tarif des douanes de manière à le libéraliser, sans cependant prononcer le nom de la liberté du commerce. Il établit la libre entrée des matières premières, supprima les prohibitions à l’entrée et les interdictions à la sortie, laissa par conséquent s’introduire le bétail étranger et sortir les machines anglaises; mais il ajourna toute mesure nouvelle à l’égard des céréales, parce que, sur ce point, le régime protectioniste était une sorte d’article de foi dans son propre parti. Il attendait une occasion qui devait en effet se présenter tôt ou tard, celle d’une mauvaise récolte. Enfin, à l’ouverture de la session de 1846, les circonstances lui ayant paru conformes à la pensée qu’il nourrissait dans son sein, il déclara ses opinions nouvelles dans le discours même de la couronne, et pendant la discussion qui suivit il annonça sans ambages qu’il était converti au grand principe de la liberté du commerce. Il se fit à lui-même un grand honneur en ajoutant que sa conversion était due à Richard Cobden. Tout le monde sait que ce dernier était le principal chef de la ligue organisée en 1838 à Manchester, et devenue ensuite par degrés une institution nationale pour la transformation de la politique commerciale de l’Angleterre et spécialement pour l’abolition des lois sur les céréales. En 1846, Richard Cobden était depuis plusieurs années membre du parlement,