Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

système de forteresses inexpugnables destinées à arrêter les incursions d’un ennemi audacieux; mais, encore une fois, ce programme ne peut être suivi avec succès qu’autant que la condition politique du pays soit satisfaisante, c’est-à-dire qu’autant que l’ordre public y règne et qu’on y jouisse d’une entière sécurité.


I. — EXEMPLES MODERNES DE LA RÉSURRECTION OU DU DÉVELOPPEMENT RAPIDE DE LA RICHESSE DES ÉTATS.

L’histoire contemporaine offre, en fait de résurrection de la richesse des nations ou de son accroissement très rapide, des exemples très accentués dans chacun desquels se révèlent aisément à tout observateur attentif les moyens immédiats qui ont donné ces résultats salutaires. L’Angleterre en fournit de significatifs; la France aussi a les siens, bien dignes d’attention.

La France était au dernier degré d’épuisement quand surgit le gouvernement du premier consul. Son industrie manufacturière avait succombé sous les coups que lui avait portés la démagogie de 1791 à 1795, et ce n’était pas le gouvernement du directoire, constamment troublé et menacé par les partis dominant tour à tour, qui avait pu lui restituer la vie et la force. Dans la période qui précéda le 18 brumaire, les jacobins espéraient redevenir les maîtres dans ce pays qu’ils avaient ruiné, souillé de sang, déshonoré, et il semblait que cette domination odieuse fût à la veille de s’imposer de nouveau à la patrie. Avec une pareille perspective, la liberté du travail, de même que toute autre liberté, était une fiction. Le peu de capital qui restait n’osait se risquer dans aucune entreprise de quelque durée; le commerce était à peu près nul. Comment les marchandises auraient-elles circulé? Les routes non-seulement étaient dans un détestable état d’entretien, mais encore elles étaient au pouvoir des voleurs. Les chauffeurs et autres brigands traquaient le peu qui restait de riches dans les campagnes et aux abords des villes. L’agriculture souffrait du mal général qui paralysait la production et les échanges. Tout à coup le général Bonaparte s’empare du pouvoir. Sous sa main ferme, l’ordre public et la sécurité reparaissent comme par enchantement. Traqués à leur tour, les voleurs de grand chemin et les chauffeurs reçoivent enfin le châtiment qu’ils avaient trop mérité, ou se dérobent pleins d’épouvante au fond de leurs tanières. La liberté politique descend, il est vrai, pour un temps dans les limbes; mais la liberté civile, dont on n’avait jamais eu que l’ombre pendant les dix années qui s’étaient écoulées depuis le 14 juillet 1789, s’épanouit sous un gouvernement investi de tous les pouvoirs qu’il fallait pour comprimer les agitateurs et pour réaliser ses intentions civilisatrices.