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des pigeonniers dans nos forteresses pour qu’elles pussent correspondre avec l’extérieur en cas d’investissement, peut-être le ministère de la guerre n’eût-il pas donné suite à ce projet. La guerre vint, traînant à sa suite les désastres; elle amena l’ennemi sous les murs de la capitale. Paris assiégé fut heureux que des amateurs de pigeons fussent enfermés dans ses murs avec leurs élèves et qu’ils pussent offrir leur concours à la défense. Aujourd’hui le gouvernement allemand entretient des pigeons voyageurs dans les forteresses de Metz et de Strasbourg, et dans les grandes manœuvres que l’armée russe va exécuter près de Moscou, on doit expérimenter l’emploi de ces messagers pour les dépêches militaires. Il n’y a de chimérique que l’impossible, et quand une idée nouvelle se présente, avant d’en contester la valeur, il faut tout d’abord se demander si elle peut recevoir une application pratique.

Nous avons montré que l’éléphant a figuré dans les armées à toutes les époques et sous tous les climats, en Asie et en Europe. Bien loin que l’invention des armes à feu ait mis fin à son rôle, on a trouvé en lui un précieux auxiliaire de l’artillerie. Il a porté des pièces de campagne sur son dos, et, quand les exigences de la guerre moderne ont forcé d’augmenter le calibre des canons, il a fourni à l’armée anglaise le plus vigoureux et le plus docile des attelages. Nous sommes plus encore que l’Angleterre en état d’organiser ce service et d’en tirer profit dans les guerres européennes. L’Angleterre est forcée de laisser ses éléphans dans l’Inde; la rigueur du climat ne lui permettrait pas de leur faire tenir garnison dans la métropole : le plus près qu’elle pût les avoir serait Gibraltar ou Malte. Plus favorisés que l’Angleterre par la richesse en éléphans de nos possessions coloniales, qui nous permet d’organiser ce service à moins de frais, nous sommes plus heureux encore par la situation géographique de notre pays. Grâce à la douceur du climat dans le midi de la France, nous pouvons faire des batteries d’éléphans un corps permanent, établi toute l’année sur notre sol comme les autres corps de notre armée, comme eux mobilisé au premier signal, comme eux prêt à faire campagne en hiver. Aujourd’hui que l’artillerie a une aussi grande importance dans la guerre, et que le sort des états dépend souvent de l’issue d’une seule bataille, ne négligeons aucune ressource pour augmenter la puissance de notre armée. C’est avec de fortes réserves d’artillerie que Napoléon gagnait ses victoires : or l’emploi d’éléphans mettra dans la main de nos généraux la plus puissante réserve d’artillerie qu’on ait jamais fait entrer en ligne.


HENRI GAIDOZ.