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pourtant, malgré les fatigues indicibles de ce passage effectué en plein mois de novembre, un grand nombre des éléphans d’Annibal survécut à cette épreuve, et fut en état de prendre part à la bataille de la Trébie. Suivant Tite-Live, 8 éléphans survécurent à la bataille de la Trébie, 7 périrent l’année suivante, par conséquent après avoir passé un second hiver en Italie, et le dernier servit de monture à Annibal pendant le reste de ses guerres en Italie. Sans doute une campagne d’hiver dans le nord de l’Europe serait préjudiciable à la santé de l’éléphant; il y contracterait le germe de cruelles maladies; mais, si l’année suivante les éléphans revenaient de la guerre avec des tubercules dans les poumons, ils n’en auraient pas moins rendu les services que l’on attendait d’eux. N’a-t-on pas indéfiniment le moyen de combler les vides faits dans leurs rangs?

La docilité de l’éléphant est si connue qu’il est inutile d’en rappeler des exemples; elle dépasse celle du cheval : on n’a de ce côté à redouter aucun accident; mais par leur présence, les éléphans peuvent-ils involontairement provoquer des désordres et des dangers imprévus? Rien de pareil ne se produit là où l’on emploie l’éléphant. Si les chevaux manifestent de l’inquiétude à la vue des éléphans, cette inquiétude passe vite. Nous ne pensons pas que les chevaux français soient plus impressionnables que les chevaux anglais ou ceux de Carthage et de Rome. La haute taille de l’éléphant n’est pas non plus une cause d’embarras, et il n’est pas de porte de ville ou de caserne où il ne puisse passer, car il occupe moins de place que ces voitures chargées de foin qu’on voit s’engouffrer dans nos quartiers de cavalerie.

Il ne faut pas croire que le cheval soit le seul animal qu’on ait jamais utilisé à la guerre, et, pour rester dans l’histoire moderne et dans l’histoire de l’armée française, rappelons diverses circonstances où l’on a employé comme auxiliaires des animaux qui produisent l’impression d’étrangeté au même degré que l’éléphant. C’est par exemple le dromadaire. Dans l’expédition d’Egypte, le général Bonaparte eut l’idée d’organiser un corps de dromadairerie afin de poursuivre jusque dans le désert les Arabes insoumis. Le projet rencontra des objections : pouvait-on former les dromadaires à la manœuvre, les habituer au bruit des détonations, accoutumer nos soldats à ce genre d’équitation? Venu d’officiers de grade inférieur, ce projet n’eût peut-être pas été mis à exécution, mais il venait du général en chef et d’un homme qui savait vouloir. Le général Bonaparte fit lui-même usage de cette monture dans ses excursions à travers le désert. Par un arrêté du 20 nivôse an VII, il créa un régiment de dromadaires à deux escadrons de quatre compagnies chaque. Ce corps nouveau fut mis sous les ordres du chef de brigade Cavalier,