Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans qu’on observe chez eux la trace d’aucune maladie. Les indigènes expriment ce genre de mort en disant que l’animal est mort « le cœur brisé. » Il y aurait là matière à un beau poème barbare de M. Leconte de Lisle. L’extrême sensibilité de son caractère fait que l’influence du moral sur le physique est aussi grande chez lui que chez l’homme.

Tous les voyageurs dans l’Inde ont décrit les rôles auxquels les éléphans sont dressés de temps immémorial. M. Rousselet, entre autres, a donné d’intéressans détails à cet égard; il raconte les splendides cortèges où ces animaux figurent richement caparaçonnés et portent les monarques indigènes sur des trônes lamés d’or. Dans un sowari ou procession militaire, dont il fut témoin à Baroda, plus de quatre-vingts éléphans, traînant jusqu’à terre les couvertures frangées d’or dont ils étaient couverts, défilèrent, portant les personnages les plus considérables de la cour. La plupart avaient la trompe et le front peints de dessins fantastiques et portaient sur la tête de hautes aigrettes de plumes blanches. Les éléphans sur lesquels étaient montés le rajah et ses fils étaient caparaçonnés plus splendidement encore. Celui du rajah lui-même était un animal gigantesque. « De chaque côté de l’éléphant, quatre hommes sont debout sur des marchepieds... L’animal, entièrement caché sous ses ornemens, semble une montagne d’or étincelante de diamans. Des hommes l’entourent en brûlant des parfums dont la fumée bleuâtre donne à la scène quelque chose de mystique. »

Le harnais spécial que l’on adapte au dos de l’animal supporte tantôt un trône de cérémonie, tantôt une sorte de kiosque, tantôt une espèce de cage destinée au voyage. On monte à éléphant à l’aide d’une échelle, qui ensuite est repliée sur le côté droit de l’animal, comme elle le serait sur le flanc d’un navire. C’est montés sur des éléphans que les rajahs de l’Inde chassent le tigre. On fait grand usage de l’animal comme monture de voyage, surtout dans les régions montagneuses, où les chemins sont rares ou mauvais. Grâce à l’extrême sûreté de son pied, l’éléphant peut s’avancer sans crainte sur les pentes les plus rapides; il présente en outre l’avantage de pouvoir, sans fatigue, transporter plusieurs personnes sur son vaste dos, où l’on peut dormir, si l’on voyage de nuit. « Une fois étendu, dit M. Rousselet, et en fermant les yeux, on pourrait se croire couché à bord d’un navire : le balancement régulier de l’éléphant imite, à s’y méprendre, le tangage et le roulis. »

Dans certaines parties de l’Asie, dans le royaume de Siam et dans les régions de l’Inde anglaise laissées aux souverains indigènes, on dresse les éléphans aux combats singuliers comme chez nous on fait des coqs. Ces combats répugnent au caractère natif de l’éléphant, être très doux, qui à l’état de liberté n’attaque ni l’homme ni les