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dans l’île de Ceylan qu’il montre une plus grande inquiétude en présence du blanc qu’en présence de l’indigène. L’éléphant a la vue très courte, mais l’ouïe et l’odorat d’une extrême finesse, et il se guide surtout par ces deux sens. Les éléphans d’un même troupeau s’appellent l’un l’autre par des cris. On a observé que l’éléphant possède trois sortes de sons dans son langage, ceux qu’il tire de son gosier, ceux qu’il produit avec sa bouche et ceux qu’il obtient de sa trompe. Ces derniers, qu’il pousse surtout dans les momens de rage et de colère, sont si aigus que tous les observateurs depuis Aristote les ont comparés à ceux d’une trompette ou d’un cor, et l’animal doit à cette ressemblance le nom de trompe que son prolongement nasal a reçu dans notre langue.

L’éléphant habite de préférence les forêts. Le jour, il se retire au plus épais des fourrés pour éviter les rayons du soleil et pour se reposer; la nuit, il se livre à ses pérégrinations et descend vers les fleuves pour s’y baigner. Il connaît une certaine organisation sociale; il vit non pas à l’état d’isolement comme le plus grand nombre des animaux, mais en famille. Chaque famille forme un troupeau. Ces troupeaux, qui comprennent de 20 à 50 individus, se gouvernent monarchiquement, comme c’est le cas de tous les animaux qui forment des sociétés, l’homme excepté. Ils choisissent entre eux l’individu le plus fort et le plus intelligent, qu’il soit mâle ou femelle; ils en font le chef de la bande, lui obéissent aveuglément, et lui témoignent le plus grand dévoûment. Le chef guide le mouvement du troupeau, pose des sentinelles et joue le rôle d’éclaireur dans les expéditions nocturnes. La famille, on pourrait presque dire le clan, est si étroitement unie qu’elle est fermée à tout étranger. Lorsqu’un éléphant reste seul, soit que son troupeau ait été tué ou pris, soit qu’il en ait été séparé par un accident, il n’est pas reçu dans une autre famille, et il est forcé de vivre solitaire. La solitude aigrit le caractère de l’éléphant, naturellement doux et inoffensif, et ces célibataires malgré eux, auxquels on donne le nom de gundah dans l’Inde et celui de rogue à Ceylan, deviennent sauvages, et commettent souvent des déprédations dans les champs cultivés et auprès des habitations. On les chasse sans chercher à les prendre en vie : leur caractère perverti se prêterait moins facilement au dressage.

L’intelligence de l’animal se manifeste dans bien des circonstances de sa vie en liberté. A Ceylan, on a plus d’une fois remarqué que pendant des orages accompagnés de violens coups de tonnerre des bandes d’éléphans sortaient de la forêt pour stationner en plein champ, et ne rentraient dans la jungle que lorsque le tonnerre avait cessé de gronder. Dans les forêts vierges qu’ils habitent, l’homme profite des chemins frayés par leur passage ; on a dit ingénieusement