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faussement un seul, l’anneau mal soudé ne reliera plus la chaîne, et l’œuvre périra tout entière. Faut-il tant d’industrie ou plutôt faut-il le même genre d’industrie pour qui travaille en pleine lumière, c’est-à-dire au milieu d’une incontestable abondance d’informations de toute sorte? Suivons M. Yriarte : il n’a, ce semble, qu’à puiser aux sources qui jaillissent autour de lui, c’est-à-dire il n’a qu’à demander aux archives publiques de Venise, dont nul n’ignore la richesse et la libéralité, le Livre d’or, qui indique la naissance de tous les nobles, celui des Nozze nobili, qui donne leurs mariages et alliances, celui des Necrologie nobili, qui note leurs décès. Il est clair qu’il va recourir aux registres d’élections, aux listes diplomatiques, au recueil des Relazioni, à tous ces riches documens que rédigeaient et classaient en si bon ordre les sévères habitudes du gouvernement vénitien. Aussi M. Yriarte a-t-il bien compris qu’il n’y avait pas lieu simplement ici à une recherche épigraphique ou archéologique. Il a voulu, avec beaucoup de raison, faire acte d’historien. Or il n’y a pas pour cela de procédé particulier: il y a la méthode de tout le monde.

Il est entendu qu’à chacun des grands traits de la biographie de son patricien le narrateur joindra la peinture d’une scène plus compréhensive et plus générale. Chaque fois que, pendant sa période active de cinquante-deux années, Barbaro sera promu à quelque nouvelle magistrature, on voudra la définir, en montrer la place, les attributions, le mécanisme. Quand il entrera au grand-conseil, au sénat, à l’arsenal, aux procuraties, on croira de son devoir de faire pénétrer le lecteur avec lui dans chacune de ces assemblées, dans chacune de ces administrations. Quand le suffrage de ses collègues le désignera pour porter l’ombrelle sur la tête d’Henri III, en l’honneur duquel Venise aura huit jours de faste inouï et de splendides réceptions, l’historien nous fera monter sur le Bucentaure pour que nous ayons, nous aussi, à la suite du roi, notre solennelle entrée dans la brillante lagune et que nous assistions à l’éclat de toutes ces fêtes. Le Barbaro nous intéresse, mais surtout évidemment le tableau dans lequel çà et là, suivant les intérêts de la patrie vénitienne et les talens du personnage, son ombre occupe diverses places. À ce compte, nous avons ici de très curieux chapitres, soit que l’auteur fasse connaître les grandes pages de Véronèse à la villa Mese, soit qu’il nous explique l’organisation toute singulière de l’arsenal de Venise, les privilèges et la puissante énergie de cette corporation et de cette petite armée, soit qu’il nous conduise à Padoue pour nous en montrer la vie juridique et littéraire, soit enfin que, pénétrant dans la vie de famille, il nous rende en plus d’une page des peintures de mœurs précieuses à recueillir. L’art était ici de distinguer pour ainsi dire à travers la lumière même les rayons particuliers, tant il est vrai que, dans un tel sujet, les documens abondent. M. Yriarte