Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la question qui se débat aujourd’hui. C’est à ce sujet que vient de s’engager une discussion à la fois substantielle et brillante, qui montre ce qu’il y aurait aisément dans cette assemblée d’aptitudes spéciales, de facultés sérieuses, si la politique ne venait sans cesse interrompre ou troubler ces utiles controverses. Le ministre des finances, M. Magne, propose de combler le déficit en frappant d’un nouveau décime les contributions indirectes. Ce système est simple, il n’a pas exigé de grands frais d’invention, et il est assez probable qu’on se prépare un mécompte en chargeant à outrance une matière imposable accablée déjà de taxes et de surtaxes. D’un autre côté, qu’oppose-t-on à M. Magne? Le système que M. Wolowski a fait accepter par la commission du budget et qu’il a exposé habilement est aussi fort simple et n’est peut-être pas sans danger. Il consiste à prendre 50 millions sur les 200 millions que l’état paie annuellement à la Banque de France pour éteindre la dette contractée envers elle pendant la guerre. Toucher à cette chose délicate qui s’appelle un contrat, au risque d’atteindre indirectement le crédit de la Banque et de l’état, c’est à considérer. M. Magne est fort lorsqu’il combat sur ce point ses adversaires, et les adversaires de M. le ministre des finances ne sont pas moins forts lorsqu’ils combattent son médiocre système. Aujourd’hui on propose de substituer aux deux expédiens un décime sur le sel, qui ne suffira pas sans doute encore. M. Bocher a résumé cette discussion en homme d’affaires consommé, parlant de finances dans une langue simple, fine et solide à la fois, avec une sûreté rare et une supérieure impartialité de vues. C’est un de ces hommes comme il y en a en petit nombre dans l’assemblée, comme était ce galant homme que la politique vient de dévorer, M. de Goulard.

Il y a deux mois à peine, M. de Goulard mettait tout son zèle et son activité à faire un ministère qui aurait eu sans doute une grande autorité devant l’assemblée par la réunion de talens divers. Il s’est épuisé dans ce dernier effort d’un patriote consciencieux, et la mort vient de l’enlever avant la vieillesse. Esprit éclairé et modéré, caractère ferme sous des dehors de grâce et de douceur, alliant une distinction naturelle à l’expérience des affaires, M. de Goulard semblait fait pour ce rôle de médiateur qu’il a rempli un moment, et qu’il eût rempli encore avec honneur pour lui, avec avantage pour le pays.


CH. DE MAZADE.