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ils le voudraient ou le pourraient. Que reste-t-il aujourd’hui de cette tentative et de ces explications singulières?

Tout a disparu au grand jour. Les légitimistes, qui d’habitude se piquent de chevalerie et de fierté, prétendaient en vérité cette fois faire entrer la monarchie par une bien petite porte. Il fallait commencer par franchir toutes ces broussailles d’interprétations subtiles et d’engagemens équivoques. Il fallait laisser croire qu’on avait pris M. le maréchal de Mac-Mahon pour dupe ou pour complice. Il fallait, pour se mettre à l’aise avec des obligations si récentes et en apparence si solennelles, s’armer de prétendues conversations secrètes où M. le duc de Broglie, alors vice-président du conseil, se serait prêté à une sorte de connivence louche pour surprendre le vote des amis de M. le comte de Chambord en leur promettant qu’ils pourraient effacer le lendemain le vote de la veille. Les légitimistes assurent qu’ils ont été trompés; ils se sont abusés eux-mêmes parce qu’ils l’ont voulu, parce qu’ils ont trop cru à leur habileté, s’ils n’ont pas été bien naïfs. M. le président de la république n’a rien négligé depuis six mois pour dissiper leurs illusions, et tout ce que M. le duc de Broglie, selon son propre témoignage, a pu leur dire, c’est qu’ils gardaient sans doute le droit de proclamer théoriquement la monarchie, s’ils le pouvaient, mais en laissant cette monarchie dans l’abstraction, en respectant toujours le gouvernement de sept ans qu’ils venaient de créer. M. le duc de Broglie, quelles que fussent les nuances de son langage, a confessé son interprétation devant l’assemblée, dans des circulaires publiques; c’est lui qui a lancé dans la discussion ce mot « d’incommutabilité. » Si les légitimistes se sentaient trompés, ils n’avaient pas besoin d’attendre au 16 mai pour renverser le (dernier ministère, — à moins qu’ils n’aient cru que le jeu continuait jusqu’au jour où M. le duc de Broglie a paru vouloir décidément organiser les pouvoirs de M. le président de la république. S’ils peuvent invoquer des engagemens particuliers, ils n’ont qu’à le dire au lieu d’en être encore à des chuchotemens insaisissables et à des impressions vagues. « Nous avons été trompés ! » dit-on avec componction ou avec amertume. Ceux qui parlent ainsi ne voient pas qu’ils auraient, eux, au contraire, trompé le maréchal en mettant entre ses mains une autorité sans valeur. En réalité, ils n’ont été ni aussi grands diplomates ni aussi profonds calculateurs qu’ils en ont l’air; ils oublient qu’ils ont été trop heureux ce jour-là de se mettre à l’abri du nom respecté de M. le président de la république, et d’éviter ou d’ajourner par la prorogation l’établissement presque inévitable d’un régime définitif. Et c’est à travers ces ambiguïtés qu’on prétendait glisser la proposition récente de restauration monarchique quelques mois après l’éclatant échec des tentatives du mois d’octobre 1873 et la loi du 20 novembre!