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pouvait écrire le mot mouchoir : cependant, lorsqu’on l’écrivait devant lui, il le copiait; mais il ne pouvait recommencer, si on enlevait ce qu’il avait écrit et le mot qu’on lui avait donné comme modèle. D’ailleurs sa parole était tout aussi imparfaite que son écriture, car pour dire le mot mouchoir, il prononçait boischer. Par le fait, on éprouve une singulière difficulté à voir jusqu’à quel point est conservée ou abolie la faculté d’écrire, car la plupart des aphasiques ont le côté droit paralysé; quelquefois on peut les faire écrire de la main gauche. Un malade que j’ai vu pouvait écrire les premières lettres de son nom, mais seulement à l’envers; il ne pouvait du reste tracer d’autres caractères.

Toutefois l’écriture et la parole ne sont pas les seuls moyens dont l’homme dispose pour communiquer sa pensée. En somme, le langage soit écrit, soit parlé, est quelque chose de conventionnel. C’est un ensemble de signes plus ou moins arbitraires que les hommes ont adoptés, tels qu’ils sont, dans chaque langue et dans chaque idiome, mais qu’ils eussent pu vraisemblablement choisir tout autres. Aussi ne pouvons-nous reproduire ces signes sans le secours de la mémoire. L’enfant qui s’essaie à parler imite les sons qu’il a entendus autour de lui, et qu’il tâche de se rappeler. Cependant il possède déjà un autre langage, et celui-là est général; il ne s’applique ni à une race, ni à une peuplade, ni un groupe d’hommes réunis pour adopter un ensemble factice de signes extérieurs. C’est le langage mimique, celui qui résulte de notre attitude même, et qui est inhérent à notre nature. Qu’un Anglais, ignorant de la langue française, assiste à la représentation d’un drame joué en français, il est probable qu’il le comprendra assez pour y prendre de l’intérêt. C’est que les acteurs parlent le langage mimique plus peut-être que le langage articulé, et tout homme intelligent, quelle que soit sa nationalité, est en état non-seulement de le comprendre, mais de le parler lui-même. Presque toujours les aphasiques ont conservé le moyen d’exprimer leur pensée par des gestes, et pour peu qu’on ait vu un certain nombre de ces malades, on ne conserve aucun doute sur la persistance de cette faculté. Un des malades de M. Broca ne pouvait prononcer que peu de mots, et lorsqu’on lui posait une question à laquelle il fallait répondre par un chiffre, invariablement il disait trois; seulement, comme ce nombre n’exprimait pas toujours ce qu’il voulait dire, il corrigeait le vice de la parole par des gestes, et en même temps qu’il disait trois, il indiquait avec ses doigts le véritable chiffre qu’il voulait exprimer. Un autre malade ne savait dire que oui et non; mais il employait ces deux mots à tort et à travers, nous devons ajouter qu’il les rectifiait par des signes de tête, et une mimique expressive.