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pas de progrès dans la richesse publique. Le billet au porteur est dangereux, s’il est trop considérable et donne lieu à des spéculations téméraires; mais s’il est contenu dans de sages limites, s’il n’encourage que des opérations régulières et à court terme, il rend des services incontestables. Que s’est-il passé depuis qu’on a établi des banques d’émission? L’argent auparavant était rare et se payait fort cher, il est devenu aussitôt après plus abondant et à meilleur marché. Et cela pourquoi? Parce qu’il y a eu des établissemens qui ont eu la faculté d’escompter l’avenir au moyen de billets acceptés comme un capital qui, bien que factice, rend momentanément les mêmes services qu’un capital réel. Quand une circulation fiduciaire n’est pas trop étendue par rapport à l’encaisse métallique sur laquelle elle repose, et que l’établissement qui l’émet tient grand compte de l’état du change, on est dans des conditions régulières, et les risques que l’on court sont aussi minimes que possible.

En résumé, il doit résulter de ce travail deux choses : d’abord qu’on aurait tort de s’appuyer sur l’exemple de la France pour prétendre que le cours forcé des billets de banque peut être considéré désormais comme sans aucun danger. La bonne tenue de nos billets, malgré le cours forcé et l’émission exceptionnelle, est due à des circonstances tout à fait exceptionnelles, aux efforts que l’on a faits et qui ont réussi pour conserver le change favorable, et ensuite à l’importance d’un stock métallique considérable qui en somme n’a jamais cessé d’exister dans le pays, ce qui n’est pas le fait des états où le papier est déprécié, comme en Autriche, en Italie, etc. Il doit en résulter aussi, vis-à-vis de cette autre exagération qui ne voudrait pas de billets de banque du tout et chercherait à les remplacer par le chèque, que ce moyen n’est rien moins qu’efficace pour prévenir les crises et les embarras financiers. Il les provoque au contraire en créant de plus grands découverts : on en a la preuve par ce qui se passe fréquemment en Angleterre et aux États-Unis; par conséquent il en est des billets au porteur comme de toutes les formes du crédit, il faut s’en servir et n’en pas abuser. Si on en abuse, on s’expose à de grands dangers, et on bâtit un édifice commercial sur une base peu solide; mais, si on s’en sert avec prudence, on a un instrument d’échange très commode, tout à fait en rapport avec les exigences de la civilisation, et qui agit comme un frein pour modérer le taux de l’intérêt.


VICTOR BONNET.