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mais il ne peut pas tenir lieu du billet au porteur : d’abord il n’a pas une circulation aussi étendue, il n’est admis qu’entre gens qui se connaissent et ne jouit pas de la confiance générale. De plus il n’est reçu qu’à titre provisoire, à la condition qu’il sera payé. Jusque-là le règlement auquel il sert n’est pas définitif, et on peut toujours en réclamer le montant, si la banque sur laquelle il est tiré ne payait pas. Le billet au porteur au contraire a force libératoire. Du moment qu’il est accepté, on n’a plus à réclamer, quand même la banque qui l’a émis deviendrait insolvable. Cette distinction est capitale, car c’est elle qui donne au billet au porteur le caractère de monnaie qu’il possède et que le chèque ne peut avoir; elle explique aussi pourquoi, dans tous les pays, les banques d’émission ont un privilège et sont en général placées sous la surveillance directe de l’état; elles exercent en quelque sorte un droit régalien, celui de battre monnaie.

On dit en faveur du chèque qu’il représente une économie faite, un capital réalisé, et qu’il a sur le billet au porteur l’avantage de n’être pas une anticipation sur l’avenir. Cette distinction n’est pas aussi vraie qu’on le suppose. Sans doute le chèque représente un capital réalisé; mais la banque qui l’a reçu en dépôt et qui en paie un intérêt ne le laisse pas improductif, elle l’utilise sous une forme quelconque, et quand le déposant voudra en disposer à son tour, comment fera la banque pour le rembourser? Le même capital ne peut pas servir à deux usages à la fois, aux opérations d’escompte et au paiement des chèques; par conséquent, si ces deux usages viennent en concurrence, il y en a un qui ne pourra être satisfait. Or sur quoi est fondée la sécurité du chèque? Sur ce que les dépôts ne seront pas tous retirés en même temps, qu’il en restera toujours un certain nombre; il suffira, pour être dans des conditions normales, d’avoir en réserve de quoi parer aux éventualités de remboursement qui peuvent se présenter. C’est absolument comme pour les billets au porteur qui dépassent le niveau de l’encaisse métallique; mais nul ne peut garantir que les dépôts resteront toujours à un certain chiffre, — pas plus qu’on ne peut dire que telle ou telle encaisse métallique sera toujours suffisante. À ce point de vue donc, il n’y a pas plus de sécurité avec le chèque qu’avec le billet au porteur; le premier peut même donner lieu à des découverts encore plus considérables que le second.

D’après une note que nous empruntons à un ouvrage fort estimé en Angleterre, the Money market, par M. Walter Bagehot, il y avait à Londres seulement, à la fin de 1872, dans les principales banques, 3 milliards de dépôts, et la réserve, pour faire face aux remboursemens, était de 337 millions, c’est-à-dire d’environ 11 pour 100 :