Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suppléant économique et d’un maniement plus commode; mais il n’est pas le numéraire lui-même, il n’en a pas les qualités, il ne doit jamais viser à le remplacer complètement. Le numéraire est un capital, parce qu’indépendamment de l’utilité il est le produit d’un travail plus ou moins coûteux; le papier-monnaie n’en est pas un, parce qu’il ne coûte rien et qu’on peut le multiplier à volonté. C’est en vain qu’on parlerait de l’utilité qu’il a pour lui assigner un prix. L’eau aussi est extrêmement utile, c’est même la première des utilités pour l’homme, cependant elle n’a généralement aucune valeur, parce qu’on peut se la procurer sans peine et en grande abondance. Le papier-monnaie est un perfectionnement dans la manière de faire circuler la richesse d’un pays, et rien de plus; quand on l’accepte, c’est non pour la valeur propre qu’il possède, mais à cause de celle qu’il promet, et qui est généralement réalisable en espèces; en un mot, c’est une promesse de payer et non un paiement. Ce point est très important à établir; il marque l’erreur dans laquelle on s’engage quand on considère le billet au porteur comme faisant partie de la richesse publique.

Suivant la théorie d’Adam Smith, le papier-monnaie « ne doit jamais excéder, toutes choses égales, ce qu’il y aurait d’or et d’argent, s’il n’existait pas. » C’est à merveille; mais quel moyen pratique a-t-on de reconnaître la quantité de numéraire qui serait nécessaire, s’il n’y avait pas de billets au porteur, et celle qui peut être utilement remplacée? En déclarant que les billets seraient toujours remboursables à vue, on avait cru se mettre à l’abri des excès d’émission et faire que le public exercerait lui-même un contrôle efficace et demanderait le remboursement du papier qui dépasserait la mesure. M. de Sismondi a parfaitement caractérisé le peu de foi qu’on doit avoir dans ce contrôle. « Si, dit-il, quiconque reçoit et donne un billet de banque était obligé de l’endosser comme une lettre de change, on n’aurait pas lieu de craindre qu’aucune banque usurpât sur le numéraire sans donner de suffisantes garanties; mais, quand le billet est au porteur, celui qui le reçoit a un intérêt si fugitif, si dénué de toute responsabilité à refuser un crédit abusif, que la nation, pour qui cet intérêt est de première ligne, ne peut pas lui déléguer toute sa vigilance. » Ce qui trompe en effet, c’est la facilité avec laquelle le public accepte le papier et le fait circuler comme la monnaie elle-même. Il le trouve très commode, n’en demande pas le remboursement, et alors on n’aperçoit plus la limite où l’on doit s’arrêter. L’illusion s’empare des esprits; on se dit qu’après tout les billets reposent sur la confiance générale. Du moment qu’ils sont acceptés du public et émis en échange de valeurs sérieuses, qu’ils ont une garantie supplémentaire dans le capital de la banque, pourquoi ne circuleraient-ils pas en dehors de