Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’augmentation des billets de la Banque, discuter devant l’assemblée nationale sur le cours forcé que des nécessités douloureuses nous avaient imposé, on se retrouva devant les mêmes erreurs qui avaient eu cours en Angleterre en 1810. On prétendit de nouveau qu’il n’y avait pas à s’inquiéter de la dépréciation des billets malgré la prime de 2 1/2 pour 100 dont jouissait l’or à ce moment, que cette prime était le résultat de l’agiotage, et que la circulation fiduciaire qui était demandée par le public, qui répondait à des besoins, pouvait être augmentée sans inconvénient. On vota l’augmentation proposée, et en effet, comme si la thèse soutenue était absolument vraie, la prime sur l’or quelques mois après avait baissé de moitié pour disparaître entièrement un peu plus tard.

Ce qui s’est passé en France depuis la guerre en fait de circulation fiduciaire, ce qui se passe encore aujourd’hui, est un phénomène très curieux et destiné à tromper bien des gens. C’est en apparence le renversement des idées économiques et financières que les meilleurs esprits avaient essayé de faire triompher jusqu’à ce jour. On disait : « Gardez-vous de trop émettre de papier-monnaie avec cours forcé; la quantité doit en être limitée très sévèrement, sinon la confiance fera défaut, et on sera exposé à la dépréciation. Or il s’est trouvé qu’on en a émis tout d’un coup au milieu de nos malheurs pour plus de 1,800 millions avec une encaisse de moins de 600 millions, et il s’est maintenu au pair; il n’a perdu un moment de sa valeur que lorsque sont arrivés les premiers paiemens à faire à la Prusse. La prime sur les métaux précieux fut alors de 2 à 2 1/2 pour 100, et, chose curieuse, elle baissa aussitôt qu’on fut autorisé à franchir la limite de 2 milliards 400 millions, qui avait d’abord été assignée à l’émission des billets. Au mois de novembre 1871, la circulation fiduciaire n’atteignait encore que 2 milliards 300 millions, et la dépréciation était de 2 1/2 pour 100 ; à la fin de janvier, elle dépassait 2 milliards 450 millions, et cette dépréciation n’était plus que de 1 pour 100. Enfin au bout d’un certain temps, après une nouvelle autorisation, la limite fut encore reculée et portée à 3 milliards 200 millions; personne n’y fit plus attention. La prime sur l’or était devenue insignifiante, et s’il avait fallu aller plus loin, comme on l’a cru un instant lorsque la circulation atteignit, au 31 octobre 1873, 3 milliards 71 millions, il est probable qu’on ne s’y serait pas opposé, on aurait laissé faire tout ce que le gouvernement aurait voulu. Pour ajouter à la singularité du fait, il faut dire encore que cette émission si extraordinaire avait lieu dans les conjonctures les plus graves, pendant que nous payions notre grosse indemnité aux Prussiens, que nous cherchions à nous procurer des ressources en numéraire le plus possible, et qu’en apparence elle était destinée à combler les vides qui se faisaient dans la circulation métallique. Jamais