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circonstances. On n’avait plus le choix, disait-on, c’était une suprême chance, et on s’arrêtait à ce parti dangereux, probablement inutile, d’envoyer le général Boyer à Londres, auprès de l’impératrice, pour savoir ce qu’elle pouvait faire, ou en fin de compte pour lui demander de « délier l’armée de son serment et de lui rendre sa liberté d’action. » Quant à cette démonstration immédiate, éclatante, en faveur de l’empire et de la régence que réclamait M. de Bismarck, on s’y refusait absolument. C’était une dernière réserve d’esprits profondément agités, cherchant une issue sans vouloir dépasser la limite du devoir militaire. On ne savait comment sortir de là. On n’eût pas été sans doute réduit à ces luttes intimes et à ces expédiens, si Bazaine eût été moins mystérieux avec ses lieutenans ou s’il eût fait plus d’efforts depuis un mois pour se mettre en communication avec la France.

La résolution du 18 était comme toute la situation, obscure, confuse, douloureuse ; elle était cruelle pour ceux qui l’adoptaient sans trop savoir où elle conduisait, ce qu’elle pouvait produire, quel sens et quelle portée elle pouvait avoir au milieu des événemens qui se précipitaient. Elle était pénible pour l’impératrice elle-même à qui elle allait infliger une singulière épreuve. Cette malheureuse femme, par la mission du général Boyer, se trouvait placée entre des chefs militaires qui semblaient lui demander de sauver leur armée, de leur épargner l’humiliante capitulation, et les préliminaires d’un traité de paix que M. de Bismarck prétendait lui imposer sans lui en dire même les conditions. L’impératrice, il faut le dire, évitait tout ce qui aurait pu ajouter aux difficultés dans lesquelles se débattait la France. Elle faisait ce qu’elle pouvait ; elle s’adressait à M. de Bismarck, au roi Guillaume lui-même. Elle s’efforçait d’obtenir pour l’armée de Metz tout au moins un armistice de quelques jours avec le droit de ravitaillement ; mais en même temps elle hésitait à paralyser, par une intervention périlleuse, les efforts tentés par la défense nationale. Elle refusait de souscrire à des conditions mystérieuses qui impliquaient une mutilation territoriale de la France. Peut-être aussi entrevoyait-elle une effroyable guerre civile où elle se perdrait sans gloire et sans profit. Le général Boyer avait quitté Metz le 19, il n’avait pu arriver à Londres que le 22 ; les négociations fiévreuses qu’on paraissait engager nécessitaient au moins plusieurs jours ; mais pendant ce temps tout s’aggravait à Metz ; on en était réduit à savoir si on pourrait vivre le lendemain, à compter les heures. Si on avait pu mettre une dernière et équivoque espérance dans la mission du général Boyer, cette espérance s’évanouissait le 24 à la réception d’une dépêche de M. de Bismarck, disant au maréchal Bazaine qu’aucune des conditions indiquées au général