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semblait s’opérer dans l’esprit de Bazaine. Des journaux allemands pénétrant dans Metz et laissant entendre que l’ennemi pourrait traiter avec le maréchal, le nom de Trochu apparaissant comme le nom d’un rival, l’idée que Paris ne pouvait tenir au-delà de quelques jours, que la France était déjà en combustion, tout cela faisait évidemment son effet. Bazaine se disait qu’il n’avait qu’à patienter un peu, à garder son armée intacte pour arriver à une négociation inévitable, et pour rester maître de la situation. Il ne voyait pas qu’il aurait bien plus d’autorité encore, soit vis-à-vis de l’ennemi, soit vis-à-vis du pays, s’il frappait de grands coups, si avec l’héroïsme du désespoir il s’ouvrait un passage. Il ne voyait pas surtout une chose bien plus grave, c’est qu’il subordonnait son action de soldat à tous les calculs politiques, et glissait insensiblement hors du devoir militaire. Le premier pas sur ce chemin, c’était de s’adresser à l’ennemi lui-même, au prince Frédéric-Charles, pour avoir des nouvelles précises de ce qui se passait en France.

La situation était unique et cruelle, j’en conviens. Etre enfermé dans une place forte et ne connaître que par des bruits, par des journaux, par des échos incertains et équivoques, les malheurs du pays, les désastres d’une armée française, une révolution accomplie devant l’invasion, c’était dur ; mais c’est précisément pour ces heures troubles, pour ces crises de confusion universelle, qu’est fait le devoir simple, rigoureux, et selon le mot de l’imperturbable Davout, ni révolutions, ni revers, ne délient le soldat du devoir. Où donc était pour Bazaine la nécessité, l’opportunité d’une démarche si singulière, si complètement en dehors de ces règles militaires dont le défenseur de Hambourg se faisait un bouclier ? Vainement le maréchal du second empire s’efforçait de pallier à ses propres yeux la gravité de l’acte qu’il commettait par une distinction subtile entre les obligations strictes d’un gouverneur de place et ce qui peut être permis à un chef d’armée. Ce n’était qu’un subterfuge déguisant mal une faiblesse et peu fait pour tromper l’ennemi, qui pouvait même voir dans cette tentative inusitée un premier signe d’intelligence, une sorte d’appel indirect et voilé à une négociation. Il est bien clair dans tous les cas que l’ennemi devait donner les renseignemens qu’on lui demandait à sa manière, dans la mesure de ses intérêts, en y mêlant tout ce qui pouvait augmenter le découragement et le trouble qu’il n’avait pas de peine à distinguer. La lettre par laquelle le prince Frédéric-Charles répondait à une note écrite par le maréchal Bazaine, portée par son premier aide-de-camp, le colonel, depuis général Boyer, cette lettre était tout ce qu’elle pouvait être, courtoise, véridique au point de vue allemand et hautaine. Le prince-généralissime, en confirmant la catastrophe de Sedan, ajoutait que, deux jours après la capitulation, était arrivé, « hélas !