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40,000 hommes. Cerné depuis le mois de septembre 1813, ne recevant ni ordres ni nouvelles de France, mais décidé à se défendre jusqu’à la dernière extrémité, l’héroïque maréchal tenait tête aux forces russes et allemandes envoyées contre lui. Vainement on lui annonçait les événemens de Paris, la restauration de la royauté, il répondait en invoquant l’article des règlemens militaires qui défend de croire aux bruits répandus par l’ennemi. On allait jusqu’à l’attaquer au nom des Bourbons déjà rétablis, avec le drapeau blanc ; il tirait sur le drapeau blanc et culbutait les assaillans. Il se refusait à toute négociation de même qu’il repoussait toutes les attaques. A la fin cependant, ne pouvant plus douter après l’arrivée d’un envoyé du gouvernement de Paris, il consentait à rendre la place, mais seulement sur un ordre du roi Louis XVIII lui-même, et il gardait ainsi ce qui lui restait de son armée, 30,000 soldats, un matériel considérable et l’honneur du drapeau. Bazaine n’était pas un Davout !

Perdu en quelque sorte dans une situation extraordinaire, qu’il n’avait pas créée sans doute, dont il n’avait pas la responsabilité première, mais qu’il pouvait relever ou sauvegarder, Bazaine avait le malheur de n’être à la hauteur des événemens ni par l’habileté du capitaine, ni par le caractère, ni par le sentiment militaire ou moral. Évidemment, s’il avait l’intrépidité du soldat au feu, ce n’était qu’un chef insuffisant, insouciant, sachant aussi peu commander qu’obéir, jaloux d’une indépendance dont il était embarrassé, sans audace et sans ressources, ni lion, ni renard. Bazaine, c’est un des témoins de la guerre de Metz qui le dit, « a été incapable de commander une si grande armée. Le nombre l’a complètement ébahi. Il ne savait point mettre en mouvement ses hommes, il ne savait point opérer avec ses forces. » Là est peut-être le secret de ces batailles du 16 août, du 18, du 31, où il manquait de décision, de coup d’œil autant que de vigueur de main, où il laissait les choses aller toutes seules sans direction, et c’est ainsi que par une certaine médiocrité militaire il se trouvait conduit à cette extrémité où il s’exposait à des méprises bien plus terribles encore par une certaine médiocrité de caractère, faute d’un sentiment moral supérieur.

Que voulait Bazaine ? Que se proposait-il, une fois rejeté sous Metz et fixé dans son camp par la nouvelle de Sedan et du 4 septembre ? Au premier instant, il semblait accepter les faits accomplis. « Nos obligations envers la patrie en danger restent les mêmes, » disait-il à son armée en lui annonçant la révolution de Paris. « Nous attendrons les ordres du gouvernement, » disait-il d’un autre côté. On commençait même à supprimer les sceaux de l’empire sur les pièces officielles. Le lendemain tout avait changé. Un travail mystérieux