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imprévoyance, il s’était créé plus que jamais la nécessité ou le prétexte d’attendre sous Metz des événemens inconnus, et ce qui, dans la pensée même du commandant en chef, n’était peut-être encore que temporaire, allait devenir tristement définitif par la toute-puissance de ces événemens extérieurs dont il faisait dépendre le salut de son armée. Dès le 3 septembre, le commandant d’état-major Samuel apprenait aux avant-postes l’affaire de Beaumont. Les jours suivans, mille bruits commençaient à se répandre ; des prisonniers de Beaumont et de Sedan échangés avec des prisonniers prussiens portaient dans Metz les terribles nouvelles. Le 9 septembre, un officier d’infanterie blessé à Spickeren pénétrait à travers les lignes ennemies, annonçant la capitulation de l’armée de Châlons, la captivité de l’empereur, la révolution de Paris, la république, la formation d’un nouveau gouvernement. Les catastrophes se pressaient, et le 12, dans une réunion, Bazaine disait à ses lieutenans muets et atterrés : « Vous comprenez bien que je ne veux pas m’exposer à subir le sort de Mac-Mahon… Nous n’entreprendrons plus désormais de grandes sorties… Chacun de vous se chargera de petites opérations afin de tenir la troupe en éveil ;… nous attendrons ainsi les ordres du gouvernement. » Le général Coffinières, qui ne parlait pas assurément sans autorisation, disait à son tour dans une proclamation aux habitans de Metz : « L’armée qui est sous nos murs ne nous quittera pas ! »

Ainsi, qu’on suive cette progression fatale. Le 20 août, le maréchal Bazaine laisse dire par une note à demi officielle qu’on pourrait rester sous Metz pour faire face à des nécessités militaires et politiques. Ce n’est pourtant encore qu’un mot, une insinuation servant peut-être à déguiser la gravité de la bataille de l’avant-veille. Le 26, au conseil de Grimont, la pensée se dégage et se précise dans les théories de haute stratégie développées par le général Soleille, visiblement approuvées, sinon inspirées par le commandant en chef, appuyées sur des faits mal contrôlés ou sur des réticences. Le 31, Bazaine n’est que trop fidèle à son programme ; il laisse échapper la dernière occasion d’une sortie victorieuse, il combat pour combattre plus que pour vaincre, et il se retranche aussitôt dans une expectative où il peut se maintenir, au moins jusqu’à nouvel ordre. Le 9, le 10, le 12 septembre, les événemens ont éclaté, ils sont connus au quartier-général comme dans la ville assiégée, et la résolution de ne plus renouveler de vaines tentatives de sortie est irrévocablement fixée. On ne quittera plus Metz, on attendra, on prolongera la résistance pour donner « au gouvernement le temps de créer les moyens de sauver la France, de sauver notre patrie ! »

Soit ; mais aussitôt s’élevait une question redoutable, imprévue. Par le fait, en liant désormais les destinées, l’action, les intérêts de