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prévisions étaient loin d’être justes ; mais il y avait une raison supérieure à tout, que Bazaine ne disait pas. En réalité, il n’était plus libre, il s’était engagé par ses premières dépêches expédiées dès le 19 à Châlons, et ici éclate ce qu’il y avait de périlleux dans ce commandement livré à toutes les chances de communications incertaines, allant peser sur les résolutions de Mac-Mahon et liant Bazaine lui-même. Les deux chefs étaient dans la dépendance l’un de l’autre, enchaînés à une même direction, également exposés à être suivis du reflux des masses ennemies et à recevoir un effroyable choc à quelques pas d’une frontière.

C’est donc par le nord que le maréchal Bazaine était obligé et se proposait de sortir, non plus en se servant de la rive gauche de la Moselle trop occupée ou trop dominée par l’ennemi, mais en revenant sur la rive droite, en avant des forts Saint-Julien et Queuleu. Ramenée sur ce terrain où elle avait livré bataille le 14, l’armée, inclinant au nord, aurait à s’avancer par des crêtes qui vont en se relevant jusqu’au point culminant de Sainte-Barbe. Ce plateau supérieur enlevé, la ligne prussienne était rompue, et l’on pourrait se rabattre sur la Moselle pour gagner Thionville, qui n’est qu’à 7 lieues de distance. Le maréchal Lebœuf, revenu dès le 22 avec le 3e corps en avant de Borny, aborderait la droite des positions au-delà de la route de Sarrelouis, par Noisseville et Servigny, suivi et appuyé par le 2e corps Frossard. Au centre, le général Ladmirault avec le 4e corps, dépassant le fort Saint-Julien, se porterait de front sur Sainte-Barbe par Poix. Le 6e corps de Canrobert, appuyant la gauche de Ladmirault et serrant la Moselle, marcherait sur Chieulles, Malroy. La garde resterait en réserve autour de Saint-Julien. Le 25 août au soir, le signal du mouvement partait du quartier-général du Ban-Saint-Martin. Le point d’attaque offrait assurément un avantage : c’était le côté le plus faible de l’investissement. Devant nous, devant nos quatre corps, les Allemands n’avaient là que la division Kummer et le Ier corps de Manteuffel. Seulement l’avantage ne pouvait garder toute sa valeur que si on manœuvrait assez rapidement, assez habilement pour déjouer la surveillance ennemie, pour surprendre et culbuter les Prussiens sans leur laisser le temps de se reconnaître et d’appeler des forces nouvelles. On était malheureusement bien loin de compte. Au matin du 26, comme dix jours auparavant au premier passage de la Moselle, l’insuffisance des ponts, les encombremens, les confusions ralentissaient tous les mouvemens. Le maréchal Lebœuf, qui se trouvait sur la rive droite, pouvait être en position dès sept heures du matin ; Frossard suivait de près. Ladmirault ne pouvait atteindre Saint-Julien avant dix heures, Canrobert n’arrivait qu’un peu plus tard. A midi, rien ne se