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perdu la route directe de Verdun par Rezonville et Mars-la-Tour. Le 18, il perdait les routes de Conflans, de Briey, et il voyait le cercle se resserrer autour de lui. C’était pour les Allemands le prix de la manœuvre plus hardie, plus heureuse que prudente par laquelle ils s’efforçaient depuis quelques jours, non de séparer l’armée française de Metz, comme le maréchal Bazaine s’obstinait à le croire par la plus étrange préoccupation, mais de la refouler au contraire dans Metz. Maintenant qu’ils avaient réussi, leur unique pensée était de nous tenir enfermés et impuissans. Ils le pouvaient avec les masses dont ils disposaient, même après la formation de l’armée de la Meuse détachée sous le prince de Saxe pour combiner son action avec celle du prince royal en marche sur Paris ; le prince Frédéric-Charles restait avec la Ire et la IIe armée réunies désormais sous ses ordres, c’est-à-dire avec sept corps pour la garde de Metz. Tandis que le Ier corps de Manteuffel, avec la division de réserve Kummer et une division de cavalerie, était laissé sur la rive droite de la Moselle, en face des forts Saint-Julien et Queuleu, les autres corps prenaient position sur la rive gauche, le VIIe au village d’Ars dans la vallée, le VIIIe sur le plateau à Gravelotte, le IIe à Vernéville, le Xe à l’ouest au-delà de Woippy. Le IIIe et le IXe corps restaient en seconde ligne. Les deux fractions de l’armée d’investissement se rejoignaient au-dessus de Metz, à Ars-sur-Moselle, au-dessous de Metz à Argancy et Hauconcourt. Se couvrir d’abatis, de retranchemens, était le premier mot d’ordre des forces de blocus. Tout cela s’exécutait dès le 19 août ; les communications étaient coupées, la dernière issue, celle des Ardennes par Thionville, se fermait à peu près ce jour-là même, de sorte que Bazaine se trouvait cerné, captif, séparé de la France, qui avait les yeux sur lui, de Mac-Mahon laissé sous ses ordres et déjà destiné à l’aller dégager.

Qu’un chef d’armée surpris par la défaite en rase campagne vînt chercher un refuge sous les murs d’une place forte au risque de se voir aussitôt bloqué dans son camp, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus extraordinaire. Ce qu’il y avait de singulier, c’était que ce chef d’armée parût aller de lui-même au-devant du piège où le poussait l’ennemi. Bazaine ne manquait pas sans doute de raisons plus ou moins sérieuses. Il venait de perdre près de 30,000 hommes et il avait besoin de reconstituer son armée ; il n’était point sans inquiétude sur son approvisionnement de munitions, que le commandant de l’artillerie, le général Soleille, lui représentait déjà comme à demi épuisé. La vérité est qu’il avait cédé surtout à cette attraction fatale d’une place de refuge sur un chef irrésolu, et qu’après avoir rétrogradé le 16 sans une nécessité évidente, il semblait attacher assez peu d’importance à cette terrible bataille du 18, qu’il se bornait à regarder de loin. On aurait dit que tout ce qui arrivait répondait à