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une inspiration d’humanité ; mais bientôt, sentant tout lui manquer, voyant ses remparts à demi ouverts, menacés d’un assaut, et ses soldats impuissans à repousser l’attaque, se croyant peut-être aussi à demi couvert par l’acte de la commission municipale, le général Uhrich pliait lui-même devant la fatalité. Le 27 septembre, il envoyait un négociateur au camp prussien, et le lendemain, 28, était signée la capitulation qui livrait à l’ennemi la ville, la garnison, 17,000 prisonniers. Strasbourg succombait après cinquante jours de résistance. La garnison avait eu plus de 600 morts, 2,000 blessés ou malades. La population civile comptait près de 1,500 victimes, sans parler des malades ; plus de 400 maisons avaient été détruites. La ville avait reçu 195,000 projectiles, le poids de près de 100,000 quintaux de fer !

Ce n’est point sans une dernière révolte de douleur, sans une dernière convulsion de patriotisme irrité, que les Strasbourgeois se soumettaient à leur sort et voyaient entrer l’ennemi avouant tout haut désormais ses pensées de conquête irrévocable. Une émotion violente agitait la foule amassée sur les places publiques autour de l’hôtel de ville, de la préfecture et du quartier-général. Des gardes nationaux, des soldats, brisaient leurs armes. Là, comme partout, au moment fatal il semblait que la résistance aurait pu être prolongée encore, qu’on n’avait pas fait tout ce qu’on aurait pu faire, et ce malheureux général Uhrich, trop exalté d’abord, traité trop durement depuis, restait chargé de ce grand deuil comme d’une faute. Est-ce donc que, sous ces dehors d’héroïsme qui de loin frappaient toutes les imaginations françaises, la défense avait manqué de direction, d’activité, de prévoyance ? Est-ce donc que cette capitulation du 28 septembre aurait été un acte de précipitation ou de faiblesse du commandement ébranlé au spectacle des misères du siège, livrant ses armes avant l’heure ? Question douloureuse, délicate, qui a été jugée avec l’inflexibilité du sentiment militaire par le conseil d’enquête appelé à prononcer sur toutes les capitulations. Oui, a-t-on dit, la défense de Strasbourg ne prenait pas toutes les mesures qu’elle aurait pu prendre, même avec une insuffisance de moyens dont elle n’était pas responsable. Au dernier moment, elle n’attendait pas l’ouverture des brèches, l’assaut du rempart, comme elle aurait dû le faire. Elle négligeait de brûler ses drapeaux, d’enclouer ses canons, de noyer ses poudres. D’autres qui étaient présens, des militaires, l’ont dit plus nettement : Strasbourg aurait pu tenir encore ! Assurément cette prolongation de la résistance avait l’importance la plus sérieuse, si elle était possible. Isolée en apparence au milieu de tous les événemens qui s’accomplissaient, qui conduisaient l’invasion au cœur du pays, la défense de Strasbourg se liait en réalité au mouvement général de la guerre : elle retenait devant