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pas à la reconnaître. La commission municipale devenait le seul pouvoir politique régulier et presque souverain. Le maire, M. Humann, qui depuis un mois prodiguait la plus patriotique activité, se retirait devant le citoyen populaire du moment, M. le docteur Kuss, homme estimé, aimé, qui devait aller mourir à Bordeaux des infortunes de l’Alsace et de Strasbourg. Le préfet lui-même, M. le baron Pron, qui avait tenu ferme jusque-là, quittait un poste devenu impossible pour lui. Tout cela était simple peut-être, et c’était malheureusement encore plus vain que simple. A quoi pouvaient servir tous ces changemens, ces proclamations d’autorités nouvelles, ces agitations de captifs ? Il était trop tard. Lorsque, deux ou trois jours après, un nouveau préfet, délégué par le gouvernement de la défense nationale, M, Edmond Valentin, pénétrait dans Strasbourg à travers tous les périls et les péripéties d’une aventure romanesque, il montrait à coup sûr autant de courage que de dévoûment. Que pouvait-il en réalité ? Il arrivait pour assister à l’inévitable catastrophe. À ce moment en effet, la situation s’assombrissait d’heure en heure. L’ennemi, serrant de plus en plus la place, déjà maître des ouvrages avancés qui protégeaient les bastions, était en mesure d’ouvrir la brèche et préparait l’assaut qui allait achever la ruine de la ville. Des secours extérieurs, il n’y en avait plus à espérer. Paris, prisonnier lui-même, ne pouvait rien pour Strasbourg, — rien, si ce n’est charger de couronnes d’immortelles la statue de la place de la Concorde, et refuser à Ferrières de livrer d’avance la citadelle, de l’Alsace comme la rançon d’un armistice ! La population strasbourgeoise, toujours patriote sans doute, mais à la fois exaspérée de douleur et découragée, commençait à entrevoir le dénoûment avec une morne stupeur.

La république venait à la mauvaise heure pour se charger d’une terrible besogne à Strasbourg comme à Paris. C’est la commission municipale elle-même qui, dominée par les circonstances, était la première à prononcer le mot fatal, et semblait ainsi n’être entrée en possession de son rôle nouveau que pour sonner le glas de la défense. Dès le 18 septembre, par une délibération des plus graves, elle exprimait l’avis « qu’en l’absence de tout espoir de délivrance par une armée française, dans la perspective de nouvelles catastrophes… stériles pour la patrie, » il y avait lieu de prier l’autorité militaire de s’adresser au commandant de l’armée assiégeante pour traiter avec lui d’une « capitulation sauvegardant les personnes et les intérêts des habitans ainsi que ceux des défenseurs de la place. » La commission municipale prenait là une redoutable initiative. Le général Uhrich, et en cela il était l’organe de l’opinion unanime de son conseil de défense, le général Uhrich déclinait d’abord cette invitation, opposant le devoir militaire, les intérêts du patriotisme à