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de rester fidèle à cette parole. La population, éprouvée, frémissante, bien loin de faiblir et de songer à capituler, se révoltait au contraire à la pensée d’ouvrir ses portes à l’ennemi. Elle demandait comme toujours des armes, qu’on ne lui donnait qu’avec mesure, des sorties, qu’on ne pouvait lui permettre sans la livrer à un massacre inutile. Il y avait certainement les découragés, les désespérés, qui croyaient tout perdu, qui auraient acheté la paix au prix de la reddition ou même à prix d’argent, par une sorte d’armistice avec rançon ; ceux-là étaient en petit nombre et n’auraient pas osé avouer leur pensée secrète. La masse restait ferme et fière, attachée à sa cité en ruine et prête à tenir jusqu’au bout.

Le bombardement n’avait donc pas réussi, M. de Werder en convenait, non sans dépit ; cette première épreuve trouvait une population courageuse et fidèle. Seulement la situation était critique. Il fallait faire face tout à la fois à l’incendie, à la misère. Il y avait près de 10,000 malheureux sans abri et sans ressource. On était réduit à enterrer les morts dans l’intérieur de la ville, au jardin botanique. La situation était d’autant plus grave qu’aux souffrances inévitables, matérielles de la guerre, venaient se joindre les anxiétés de l’isolement, les agitations morales, les impatiences, les irritations, les incertitudes d’une ville bloquée, dont le sort dépend non-seulement de ce qu’elle fera pour elle-même, mais de ce qui se passe au dehors, d’un événement inconnu qui s’accomplit au loin. On vivait à Strasbourg dans la fièvre de l’attente et de l’ignorance, au milieu de toutes les rumeurs confuses et contradictoires, accusant volontiers le préfet de cacher les nouvelles qu’il n’avait pas, accueillant un jour le bruit d’une victoire de Mac-Mahon ou de l’arrivée prochaine d’une division de Belfort, recevant un autre jour le bulletin équivoque et décourageant des défaites de Bazaine.

Au fond, dans la courageuse constance de la population strasbourgeoise il y avait certainement l’espoir d’un secours extérieur qui ne pouvait manquer, sans lequel la résistance la plus valeureuse devait être vaincue. Le général Uhrich ne s’y méprenait pas, il ne déguisait pas les extrémités de sa position. Dans une dépêche qu’il essayait de faire passer au ministre de la guerre le 27 août, il disait : « Dégâts énormes à Strasbourg, citadelle presque rasée, situation des plus critiques : besoin secours prompts, ferons tout le possible. » A Paris, on se faisait de si étranges idées, on oubliait si complètement les ressources laissées à Strasbourg, que le ministre de la guerre, pour tout secours et pour tout encouragement, expédiait à tout hasard au général Uhrich cette étonnante dépêche : « Tenez le plus longtemps possible… Comme dernière ressource, la garnison doit exécuter un coup d’audace ; elle pourrait peut-être pendant la nuit franchir le Rhin et se jeter dans le pays de Bade, où il ne se