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Cette fois la « fraternité allemande » parlait haut assurément ; elle parlait par toutes les batteries de Kehl, de Schiltigbeim, de Kœnigshofen, qui portaient l’incendie et la mort dans la malheureuse ville. Le canon ennemi ne dirigeait pas seulement ses coups sur la citadelle, sur les bâtimens militaires ; les obus, lancés avec une sûreté redoutable, passaient par-dessus les remparts pour aller tomber sur certains quartiers, accumulant les ruines et les désastres, atteignant les monumens, les établissemens publics, la préfecture, l’hôtel de ville, le Temple-Neuf, le gymnase protestant, le séminaire catholique : puis enfin dans l’incendie de ces nuits lugubres disparaissait la Bibliothèque, vaste dépôt des collections les plus précieuses, et la cathédrale elle-même, cette merveille de l’art, n’était point épargnée ; si elle échappait à une destruction entière, elle restait marquée des obus prussiens. L’artillerie française soutenait comme elle pouvait cet affreux duel, sans se laisser décourager, mais sans pouvoir éteindre le feu ennemi. Un instant, le 25 août, l’évêque de Strasbourg, M. Rœss, tentait une démarche au camp allemand, où il se rendait en parlementaire. Il demandait qu’on cessât de tirer sur la ville ou tout au moins qu’on laissât sortir les femmes et les enfans. Il ne put rien obtenir. Les femmes, les enfans, c’était justement la faiblesse de la place, et on comptait sur cette faiblesse pour réduire la défense à merci !

Ce qu’il y a de curieux, c’est que ceux-là mêmes qui poursuivaient cette œuvre de dévastation se déchaînaient contre le général Uhrich qui répondait au feu dont il était accablé en brûlant à son tour Kehl, qui tirait sur lui. M. de Werder protestait, accusait le chef français de manquer aux lois de la guerre en tirant sur une ville ouverte, et menaçait des plus terribles représailles. Le fait est que, si Kehl était une ville ouverte, les batteries badoises étaient tout auprès dans le rayon de la ville. Le général Uhrich manquait à toutes les lois en se défendant, en rendant coup pour coup, au risque de faire souffrir Kehl, et ceux qui brûlaient Strasbourg ne manquaient à aucune loi ! Bien mieux, s’ils agissaient avec cette violence sommaire, c’était par « humanité, » comme ils le disaient, — « pour abréger la lutte ! » A quoi cependant arrivait le général de Werder ? Il s’était évidemment trompé dans ses calculs et avait déployé une cruauté inutile. Après quelques jours de bombardement, il était obligé de finir par où il aurait dû commencer, et d’en revenir à un siège régulier. Au lieu de réduire la ville par la terreur, il n’avait fait que surexciter toutes les ardeurs du patriotisme et enflammer la passion de la résistance. Au premier moment, une proclamation du préfet, M. le baron Pron, et du général Uhrich avait dit ce mot assez français : « si Strasbourg est attaqué, Strasbourg se défendra tant qu’il restera un soldat, un biscuit, une cartouche ! » On se promettait