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car le mal qui avait pu semer dans une armée de pareils germes de trahison devait être bien profond, et ces tristes exemples de désertion n’étaient qu’un symptôme des illusions et de l’aveuglement qui précipitaient le sud dans la guerre civile.


III. — L’ESCLAVAGE.

Avant de montrer la république américaine divisée en deux fractions hostiles et d’exposer l’organisation des forces qui allaient combattre sur son sol pour assurer la primauté, soit des institutions esclavagistes du sud, soit de la société libre du nord, il est nécessaire de répondre à la question que chacun doit se faire : comment une guerre pareille a-t-elle pu éclater? quelle cause profonde a pu diviser ainsi une grande nation dans toute l’étendue de son territoire, déchirer son armée et mettre les armes à la main aux citoyens que tant de liens, tant d’intérêts, tant de souvenirs communs devaient tenir unis ?

Ils étaient frères, ils avaient vécu ensemble et s’étaient formés à la même école, se ressemblaient par tous les traits principaux du caractère et avaient les mêmes institutions politiques, les mêmes traditions militaires. Leurs chefs avaient servi sous le même drapeau et siégé dans les mêmes assemblées. Il n’existait aucune différence réelle d’origine entre le nord et le sud. Toutes celles que le sud allégua quand, désespérant d’obliger l’Europe à le secourir en la privant de coton, il voulut éveiller ses sympathies étaient purement imaginaires. Il ne faisait que des généalogies d’expédient lorsque, montrant à la France son ancienne colonie de la Nouvelle-Orléans, il se disait à demi français, et que, se tournant ensuite du côté de l’aristocratie anglaise, il évoquait le souvenir des cavaliers chassés par Cromwell, pour l’opposer aux Yankees, qui n’étaient, selon lui, qu’un ramassis d’Allemands et d’Irlandais. En réalité, la race anglo-saxonne dominait également au sud et au nord. Elle absorbait rapidement celles qui l’avaient précédée et celles qui lui fournissaient un contingent d’émigrans. En s’associant à son œuvre, ces races adoptaient aussi ses mœurs et son caractère.

Dans la première ville du sud, à la Nouvelle-Orléans, subsistait, il est vrai, un noyau de population se rattachant par la langue et les souvenirs à la patrie qui l’avait lâchement vendue; mais cet îlot, déjà à demi submergé sous le flot montant d’une autre race, ne constituait pas une nationalité. Quant à l’émigrant irlandais, loin de résister à ce flot, il le suivait au contraire, car, bien qu’il diffère profondément de l’Anglo-Saxon, il ne va chercher une nouvelle patrie que là où il trouve celui-ci déjà fortement établi. Il ressemble