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d’un commandement actif et habile, disposant d’approvisionnemens suffisans, d’une garnison solide, et pouvant s’appuyer sur une population dévouée. Les approvisionnemens ne manquaient pas. La population, un peu émue au premier instant, un peu troublée, portant peut-être en elle-même le germe des vieilles divisions politiques ou religieuses, cette population, confondue aussitôt dans une pensée unique de patriotisme, offrait son ardeur, son abnégation et son dévoûment ; elle se montrait prête à tout braver et à tout subir pour la défense de sa ville, de ses foyers, du drapeau de la France. Les moyens d’action militaire se ressentaient évidemment de l’imprévoyance des frivoles organisateurs de la guerre, qui n’avaient considéré Strasbourg, aussi bien que Metz du reste, que comme une étape d’une campagne d’invasion en Allemagne, et qui ne s’étaient nullement préoccupés de cette possibilité d’un siège. Le commandement avait été confié à un chef militaire tiré de la réserve, au général Uhrich, vieux soldat brave, fidèle, plein d’honneur, mais un peu affaibli, déconcerté par les événemens, troublé de sa redoutable mission, et le général Uhrich, pour faire face au péril, ne disposait pas même de la garnison d’un temps de paix. Il avait un régiment de ligne laissé par une division du corps de Mac-Mahon, le 87e vigoureusement commandé par le colonel Blot, quelques dépôts d’infanterie et de cavalerie, quelques compagnies de pontonniers sous le colonel Fiévet, 600 artilleurs, 4,000 mobiles, une centaine de marins avec le contre-amiral Excelmans et le capitaine du Petit-Thouars, envoyés au début de la guerre pour le service d’une flottille sur le Rhin. A cela venaient se joindre les fuyards de Frœschviller, débandés de toutes armes, contingent de la déroute, qui portait avec lui sa démoralisation et qu’on se hâtait de rallier le mieux possible. C’était, avec ces fuyards, avec quelques détachemens venus du Haut-Rhin, avec la garde nationale bientôt organisée, une force incohérente de quelque 18,000 hommes, dont une moitié tout au plus avait une valeur sérieuse. L’artillerie comptait, en vérité, plus de canons que de canonniers, et ce n’est qu’après les premiers jours qu’elle était commandée par le général de Barral, qui réussissait à pénétrer dans la ville, passant à travers les lignes prussiennes sous un habit de paysan. Le génie avait une dizaine d’officiers sans troupe, de sorte qu’à cette place, imposante de loin, suffisamment approvisionnée il est vrai, mais faiblement protégée, exposée au bombardement, à cette place manquait le nerf de la défense, la force vivante et active d’une garnison de guerre, et c’est dans ces conditions que le 8 août Strasbourg voyait arriver devant ses murs l’ennemi lui demandant du premier coup ses clés et son honneur.

L’ennemi qui se présentait ainsi devant une ville de 80,000 âmes avec la jactance de la victoire et dont l’apparition était pour