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puis Brumath au pied des Vosges. Le 9, les Badois, déjà précédés par les dragons du général de Laroche, étaient devant Strasbourg, battant les campagnes environnantes, coupant les lignes de fer, les télégraphes, procédant à tous les préliminaires d’un blocus.

Certainement ce n’était pas sérieux de sommer Strasbourg de se rendre à l’apparition de quelques dragons badois. C’était prétendre un peu trop imiter par représaille les cavaliers de Lassalle enlevant Stettin sans combat en 1806. Ce qu’il y avait de sérieux, c’est que Strasbourg se trouvait brusquement en face d’une redoutable épreuve sans avoir été préparée à la soutenir. Là comme partout rien n’avait été prévu, rien n’avait été fait pour assurer une défense efficace de ce poste avancé de la France à l’orient des Vosges. Campée dans la riche plaine de l’Alsace, entourée d’une ceinture de faubourgs extérieurs devenus presque des cités nouvelles, la Robertsau, Schiltigheim, Kœnigshofen, — faisant front au Rhin et à Kehl, dont elle n’est séparée que par un petit bras du fleuve et par l’île des Épis, traversée du sud au nord par l’Ill, qui, au sortir de la ville, forme d’autres îles, Strasbourg, avec sa citadelle tournée vers l’est et sa vieille cuirasse de remparts datant de Vauban, avait en 1870 le malheur de garder le renom d’une place de premier ordre sans en avoir désormais la force. Elle n’aurait pu avoir toute sa valeur militaire dans une guerre avec l’Allemagne que par la possession de Kehl transformé en puissante et inexpugnable tête de pont de l’autre côté du Rhin. A défaut de cette protection, en présence de l’artillerie nouvelle, elle n’était plus même à l’abri d’un bombardement dirigé contre elle de la rive allemande. A l’ouest, et c’est par là précisément que les Badois arrivaient, elle était plus vulnérable encore ; elle restait sous le canon des seules hauteurs environnantes, les hauteurs de Hausbergen et de la Souffel, où Rapp transportait la défense de Strasbourg en 1815, et qui semblaient naturellement indiquées pour des forts extérieurs couvrant les abords de la place. Bien des fois ces faiblesses avaient été signalées, les avertissemens n’avaient pas manqué dans les dernières années. Rien n’avait été fait par négligence, faute de crédits qu’on osait à peine demander et que le corps législatif se hâtait de réduire, peut-être aussi pour ne point éveiller l’attention ou les susceptibilités des Allemands. Tout s’était borné à un projet d’ouvrages dont l’exécution devait commencer en 1871, lorsque tout à coup éclatait la grande crise que tout le monde pressentait depuis longtemps en Alsace, qu’on précipitait à Paris, et qui surprenait Strasbourg avec sa vieille fortification savante, correcte, mais fatalement insuffisante.

Telle qu’elle était, la ville alsacienne gardait toujours sans doute, avec un certain caractère imposant, une force réelle de résistance qui pouvait arrêter l’ennemi à la condition d’une défense résolue,