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faits. Je pourrais citer en Angleterre, en Allemagne, en France, bien des penseurs capables de construire de toutes pièces un système compliqué; en est-il beaucoup qui soient de force à être simples? En est-il beaucoup qui osent s’aventurer jusqu’à examiner de près des choses particulières, à discuter des problèmes, à faire de la casuistique? A les entendre, ils craindraient de déroger; s’ils étaient francs, ils avoueraient plutôt qu’ils ont peur de défaillir. Cette simplicité les dépasse, ce monde pratique les déconcerte. M. Janet a le mérite de voyager sans le moindre embarras de la région des principes abstraits à la région des réalités vivantes et de se mouvoir dans l’une comme dans l’autre avec la même ardeur, la même passion du vrai, disons le terme juste, la même bonne foi.

Vauvenargues a dit que la clarté est la bonne foi des philosophes. Le mot est charmant, mais c’est un mot tout littéraire. Si l’on regarde au fond, et non plus seulement à la forme, la bonne foi des philosophes exige bien autre chose que la clarté du langage. Une des principales conditions de cette bonne foi spéciale et professionnelle, c’est la résolution de n’avoir aucun parti-pris. Celui qui, rencontrant un rayon de lumière, refuserait de le suivre, ou ne le suivrait qu’avec embarras, ou se promettrait de n’aller que jusqu’à tel ou tel point, sans dépasser jamais la limite fixée d’avance, celui-là ne serait pas un philosophe, car ce ne serait pas un penseur de bonne foi. M. Janet ne mérite pas ce reproche, on l’a déjà vu par tout ce que nous venons de dire. Je trouve une nouvelle preuve de cette recherche si loyale du vrai dans un chapitre où le moraliste, analysant les élémens de la vertu, est amené à reconnaître ce fait extraordinaire, inexplicable, mais constaté cependant par toute psychologie un peu profonde, ce fait à la fois mystérieux et réel que la théologie chrétienne appelle la grâce. M. Janet a démontré que la vertu n’est pas seulement la science du bien, comme le veut Platon, ou l’amour du bien, comme le veut Malebranche; il faut unir ces deux choses, science du bien, amour du bien, comme élémens nécessaires de la vertu. Sont-ce les seuls? Non certes; l’élément décisif, c’est toujours la force morale ou la volonté. C’est ici que M. Janet prononce ces belles paroles : «Que de fois n’arrive-t-il pas que l’amour du bien est aussi impuissant que la connaissance du bien, qu’une âme qui à la fois connaît le bien et veut le faire ne le fait pas! Combien d’âmes généreuses et tendres, combien d’âmes éclairées et sages, combien, réunissant à la fois la sagesse et la générosité, Sont cependant impuissantes devant la tentation ! De ces bonnes intentions dont l’enfer est pavé, combien sont inspirées par le cœur et par la raison, mais qui sont trahies par la volonté! Il faut donc toujours un dernier ressort, un effort suprême, un acte personnel de résolution pour achever l’acte vertueux. C’est ce dernier ressort qui