Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scolastique. La vraie science condamne ces procédés. Il n’y a en morale qu’un seul fait primitif et universel, le fait de l’approbation et de la désapprobation. Les hommes, en tel temps, en tel pays, approuvent ou désapprouvent tels ou tels actes ; c’est un fait qu’on peut vérifier, et qui, une fois vérifié, appartient à la science, comme les observations de la physique, comme les phénomènes constatés de la nature. Voilà des choses qu’on touche, qu’on ne peut contester. Il est utile, il est sage de faire ce que l’opinion approuve, de ne pas faire ce qu’elle blâme. C’est le seul fondement de la morale. Tout le reste est vain. — Armé de ses principes, M. Janet n’a point de peine à repousser l’attaque, il répond sans hésiter : « De cela seul que parmi les actions humaines il en est que j’approuve, d’autres que je désapprouve, ne faut-il pas conclure que j’ai une certaine règle d’après laquelle j’approuve ou je désapprouve? » Ce coup a suffi, les barrières sont rompues. L’adversaire prétendait nous enfermer dans un fait comme dans un caveau, mais le monde des faits, si on l’examine d’un œil attentif, nous ouvre immédiatement le monde des idées.

L’âme lève du doigt le couvercle de pierre
Et s’envole…..


Il y a donc une règle qui décide de l’approbation et du blâme, une règle supérieure aux choses que juge l’opinion et supérieure à l’opinion qui les juge. Voilà les sphères d’en haut qui apparaissent; ici, comme partout, nous retrouvons le visible gouverné par l’invisible et le réel dépendant de l’idéal.

Ce n’est là pourtant qu’une première lueur; il faut la suivre et pénétrer plus avant. Cette règle qui nous dirige dans l’appréciation de notre conduite ou de celle des autres hommes, comment s’exprime-t-elle et qui nous la fournit? Chacun de nous la possède parce que chacun de nous, ceux-là même qui s’en inquiètent le moins, spontanément et instinctivement, compare son action ou celle des autres hommes à une action idéale qui devait être accomplie. Si cette action dont j’ai l’idée a été accomplie, je dis que cela est bien; si elle ne l’a pas été, je dis que cela est mal. Par exemple, j’ai l’idée d’un témoin qui n’a pas menti, d’un soldat qui n’a pas fui dans la bataille, d’un magistrat qui n’a pas fléchi devant la violence, soit celle d’en haut, soit celle d’en bas; suivant que le témoin, le soldat, le magistrat, dans le monde de la réalité, a conformé sa conduite à cette action idéale ou s’en est détourné, je l’approuve ou le désapprouve. « Et si l’on songe, ajoute M. Janet, qu’aucun homme en particulier n’est jamais absolument semblable à cet homme dont j’ai l’idée (ce qui faisait dire aux stoïciens qu’il n’y avait jamais eu un seul sage, pas même Zénon, pas