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toutes, il examine cette loi, il en sonde les profondeurs, et, une fois engagé dans cette étude, il est résolu à la suivre partout où elle le conduira. Tel est dès le début l’intérêt et la curiosité de ce livre. Dans un sujet tant de fois traité, l’auteur, grâce à la sincérité de son esprit et à la rigueur de sa méthode, tient notre attention en suspens; pour peu qu’on ait le goût des idées, on assiste à un voyage de découvertes.

J’admire en vérité les novateurs qui se croient hardis en proclamant la morale indépendante, comme s’il y avait quelque hardiesse à se vanter d’avoir la vue courte. Quelle idée se font-ils donc du cosmos et de l’harmonie des choses? Est-ce que dans l’immensité de l’univers la science a trouvé un seul objet qui fût indépendant et isolé? Est-ce que, dans le monde moral comme dans le monde physique, chaque effort du génie de l’homme ne découvre pas des rapports, inconnus jusque-là, qui en font soupçonner d’autres et nous aident à concevoir une lointaine idée d’un enchaînement prodigieux? Rien n’est isolé, rien n’est indépendant; d’une façon directe ou indirecte, toutes les choses tiennent à toutes-les choses. Dès le premier regard jeté sur la loi morale, on est immédiatement transporté dans le domaine de la métaphysique et de l’ontologie. Qu’est-ce en effet que la loi morale? et comment nous est-elle révélée? Les derniers grands penseurs qui aient élaboré ces questions, Emmanuel Kant et Jean-Gottlieb Fichte, font dériver l’idée de la loi morale de l’idée même que nous avons de notre liberté. La liberté de l’homme, disent-ils, suppose nécessairement une loi; il faut obéir à cette loi, le devoir l’exige, l’ordonne, et c’est précisément cette obéissance qui est le bien. En d’autres termes, le bien n’existe pas par lui-même, il n’est que le résultat de l’accomplissement du devoir; enfin, sous une autre forme encore, ce n’est pas le bien qui est le principe du devoir, c’est le devoir qui est le principe du bien. Cette morale austère et sombre, cette espèce de jansénisme philosophique qui tient l’homme sous un joug superbe sans lui permettre ni de comprendre la loi ni de l’aimer, révolte le libéral esprit de M. Janet. Kant a raison, dit-il, et ce sera l’éternel honneur de sa doctrine, lorsqu’il établit avec tant de force le caractère obligatoire de la loi morale; il a tort, mille fois tort, quand il fait de cette loi une sorte de tyran abstrait, une idée impérative que nous trouvons en nous, mais qui ne nous représente rien de vivant, rien de substantiel, aucune réalité supérieure à poursuivre. C’est que le rigoureux penseur de Kœnigsberg est toujours obsédé par cette pensée, que nous ne pouvons sortir de nous-mêmes. Une psychologie plus profonde au contraire prouve qu’il nous est impossible de regarder en nous-mêmes sans porter nos regards au-delà et au-dessus. Le maître intérieur, comme disait Fénelon, est en même temps