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un peu de temps, avec un peu de patience, ces belles institutions permettaient aux plus profondes modifications de s’accomplir paisiblement ; mais il existait malheureusement dans notre patrie un élément révolutionnaire, très puissant par le nombre, par l’organisation, par le souvenir de ses triomphes passés, voulant franchement l’anarchie avec toutes les perspectives qu’elle seule pouvait ouvrir pour lui, et contre lequel, dans ces journées de soulèvement, il est impossible de lutter sans un recours très décidé, peut-être même très inexorable, à la force militaire. Notre monarchie constitutionnelle avait eu à soutenir plus d’une fois des attaques bien plus formidables que celle sous laquelle elle venait de succomber ; mais alors elle avait livré le combat, tandis qu’un concours fatal de circonstances avait, durant ces derniers jours, paralysé la résistance la plus légitime et la plus nécessaire. Sans doute, le suffrage électoral était restreint, mais le nombre des personnes en France qui pouvaient, avec un profit réel pour le pays et surtout pour les libertés publiques, participer à la direction des affaires était-il quant alors beaucoup plus considérable ? Un avenir prochain résoudrait la question. S’il résultait des derniers changemens une ère nouvelle de satisfaction générale, de libertés plus largement développées, d’apaisement des passions subversives, alors le roi Louis-Philippe et les hommes si éminens qui l’avaient servi et soutenu jusqu’à la fin demeureraient convaincus devant l’histoire d’avoir fort imparfaitement compris les grands intérêts de leur pays. Si au contraire les concessions les plus illimitées à la clameur populaire n’amenaient que des agitations incessantes, des conflits civils infiniment plus sanglans, avec les souffrances et la misère qu’ils engendrent toujours, pour n’aboutir enfin qu’à l’acclamation d’un régime despotique, alors l’équitable postérité reconnaîtrait les torts impardonnables de ceux qui ont déchaîné contre la monarchie constitutionnelle les fureurs populaires avec un si lamentable succès. Je m’aperçus que ces considérations ébranlaient sensiblement sir Robert Peel sans toutefois le convertir entièrement. En me quittant, il résuma son impression dans ces mémorables paroles, qui révèlent la préoccupation dominante de ses dernières années : « Je vois que le roi et M. Guizot se sont trouvés dans une position, sous beaucoup de rapports, analogue à la mienne. Ils avaient à rompre ouvertement avec leurs amis politiques les plus dévoués ou à braver les risques d’une terrible révolution. Le parti que j’ai pris a été bien douloureux ; mais je crois qu’il a été le meilleur. »

La sympathie profonde que m’avait témoignée sir Robert Peel pour notre famille royale ne devait point se borner à des protestations empressées. Le bruit s’étant répandu, sur ces entrefaites, qu’échappés avec peine à la tourmente et à la spoliation révolutionnaires,